Chapitre du
31 août 2003 à la Communauté de Scourmont
L'apostolat des moines (C.
31)
La dernière Constitution que j'ai commentée
avant mon départ pour l'Afrique, il y a un peu plus de trois semaines, traitait
de l'accueil des hôtes. La suivante
-- que je commenterai aujourd'hui -- traite de l'apostolat des moines.
Même s'il n'y a pas lieu de trop s'y attarder,
l'histoire du texte de cette constitution est assez intéressante.
Une première version fut votée au Chapitre de Holyoke et les moniales
y ajoutèrent un élément l'année suivante.
Ensuite la Commission de Droit remania le texte en y ajoutant des éléments
suggérés par diverses conférences régionales, puis une nouvelle mouture fut
votée par les deux Chapitres des abbés et des abbesses en 1987 et fut ensuite
approuvé sans changement par le Saint Siège.
C. 31 L'apostolat des moines
Fidélité à la vie monastique et zèle pour le royaume de Dieu et le salut de toute l'humanité sont intimement liés. Les moines portent en leur cœur ce souci apostolique. Mais leur façon de participer à la mission du Christ et de son Eglise, ainsi que de s'insérer dans une Eglise locale, est leur vie contemplative elle-même. Pour cette raison, si urgente que soit la nécessité d'un apostolat actif, ils ne peuvent être appelés à fournir une aide dans les divers ministères pastoraux et autres activités extérieures.
Ce texte a un double but : d'abord affirmer ce qui est la spécificité de
l'apostolat propre à des communautés contemplatives, et puis, pourrait-on
dire, assurer une certaine "défense" contre les exigences de tel
ou tel évêque ou curé.
L'Église toute entière est apostolique
et tous les chrétiens, sans exception, doivent participer à cette mission
de l'Église, chacun selon sa vocation propre évidemment. Il est donc important de rappeler que la vie
monastique a une dimension apostolique. Un
soi-disant "contemplatif" qui n'aurait aucun zèle pour le plein
avènement du royaume de Dieu et pour le salut de toute l'humanité ne serait
pas vraiment chrétien. C'est pourquoi
il était important d'affirmer que la "fidélité à la vie monastique"
ne peut être dissociée d'un tel zèle pour le royaume et d'un tel désir du
salut de toute l'humanité.
Puis, il est ensuite affirmé que la
façon propre au moine de participer à la mission du Christ et de l'Église
consiste dans sa vie contemplative elle-même.
Cette affirmation suppose une conscience vive de la communion des saints
et donc de la conviction que lorsqu'un Chrétien (ou une Chrétienne) approfondit
sa relation avec Dieu, c'est toute l'Église qui, par lui et avec lui approfondit
cette relation. Il est dit également,
que cette "vie contemplative" est notre façon de nous insérer dans
l'Église locale. Cela ne veut pas simplement
dire que notre vocation se limite à "prier aux intentions de l'Église".
Il y a plus que cela d'impliqué ici. Une
Église locale, que ce soit dans une vieille chrétienté ou dans un pays de
mission, n'est pas pleinement réalisée si elle n'a pas développé sa dimension
contemplative, qui est une dimension essentielle de l'Église comme telle. Donc, par le simple fait de vivre, visiblement
au sein d'une Église locale cette dimension contemplative, nous concourrons
à la pleine réalisation visible de l'Église dans toutes ses dimensions essentielles.
Plusieurs Congrégations monastiques
ont en plus de cela des activités pastorales, comme, par exemple, l'enseignement
ou encore le ministère paroissial. Ce n'est pas le cas dans notre Ordre. C'est pourquoi nous avons ajouté, dans cette
constitution, une citation du canon 674 du CIC qui dit que les moines d'une
communauté de "vie contemplative" ne peuvent être appelés à fournir
une aide dans les divers ministères pastoraux "quelque urgente que soit
la nécessité".. Une fois qu'un
évêque accepte l'une de nos communautés dans son diocèse, il l'accepte avec
ses Constituions propres et est donc lié par cette constitution-ci. C'est dans ce sens que j'ai dit plus haut que
cette constitution est une sorte de "défense" ou protection. À ce texte du canon 674, qui parle d'activités
pastorales, on a ajouté, à la suggestion du Chapitre des Abbesses, les mots
"et autres activités extérieures".
Le fait qu'on ne puisse pas nous imposer
un ministère apostolique n'empêche pas que, dans certaines circonstances la
charité puisse demander d'apporter une aide ponctuelle. C'est l'objet du Statut 31.A, qui accompagne
cette Constitution. Un discernement est à faire en chaque cas, et l'abbé a
la responsabilité de le faire.
ST 31.A
Si, dans des circonstances
particulières, une aide pastorale est sollicitée du monastère, l'abbé accueille
cette requête, s'il la juge convenable, et confie le ministère demandé à un
frère qui soit apte et disposé à l'accomplir
Les experts de la Congrégation des
Religieux qui examinèrent nos Constitutions avant leur approbation, suggérèrent
de supprimer ce Statut en tant que contraire au Droit canon et à Perfectae caritatis. Nous avons cependant maintenu notre texte, expliquant
qu'il s'agissait essentiellement d'activités se déroulant à l'hôtellerie du
monastère. Cela n'empêche cependant
pas, en certaines circonstances des interventions extérieures.
Si la Constitution avait comme un de
ses buts de protéger la communauté contre l'évêque (!), ce statut protège
le moine contre l'abbé. Si une aide
pastorale est demandée au monastère et que l'abbé juge que, dans les circonstances,
on peut ou on doit y répondre positivement, il demandera à un frère de remplir
ce service. Cependant deux conditions
sont mentionnées. D'abord, le frère
désigné doit être apte à ce genre de service. Désigner quelqu'un à une fonction pour laquelle
il n'a pas les compétences ou les aptitudes est injuste à son égard (puisque
c'est le vouer à un échec) comme à l'égard des personnes à qui s'adresse ce
ministère.
De plus, il est dit que le frère en
question doit être "disposé à accomplir [ce service]". Cela revient à dire qu'un abbé ou un supérieur
ne pourrait pas obliger un frère qui ne désire pas le faire à remplir un ministère
apostolique. La raison est tout simplement
que ce n'est pas pour cela qu'on est venu au monastère. Le service des hôtes à l'hôtellerie est cependant
différent. Le service des hôtes est
une tâche prévue par la Règle. Il me
semble donc qu'un supérieur pourrait -- strictement parlant -- obliger quelqu'un
à accomplir un ministère à l'hôtellerie... bien que ce ne soit évidemment
pas là une attitude prudente de la part du supérieur...
En résumé : Nous devons porter dans
nos préoccupations et nos prières la mission apostolique de l'Église et être
conscients que nous y participons à travers notre vie contemplative elle-même,
laquelle n'en doit être que plus authentique et profonde. De plus, tout en sachant que personne ne peut
nous obliger à une activité, apostolique ou autre, à l'extérieur du monastère,
la charité peut nous inviter à certaines interventions ponctuelles, à bien
discerner en chaque cas.
Armand VEILLEUX