Chapitre du 27 juillet 2003 à la Communauté de Scourmont

 

 

La séparation du monde (C. 29)

 

 

            Les quatre dernières Constitutions du premier Chapitre de la deuxième Partie des Constitutions traitent de divers aspects de la relation des moines avec le monde extérieur au monastère.  La Cst 29 (que nous commentons aujourd'hui) traite de la séparation du monde; les suivantes traiteront de l'accueil des hôtes, de la situation des moines face aux demandes d'apostolat et enfin de la relation avec l'Église locale et l'Église universelle.

 

            C'est une question très importante sur laquelle on a senti le besoin de revenir constamment dans notre Ordre.  D'abord, au moment de la rédaction du Statut sur l'Unité et le Pluralisme dans l'Ordre, en 1969, on a indiqué dans ce Statut que le respect d'une authentique solitude par tous les monastères de l'Ordre était une exigence pour le maintient d'une véritable unité entre les monastères.  Le Chapitre Général de 1974, après l'étude des rapports de maisons, a jugé nécessaire de rédiger une directive pastorale sur "La Solitude et la Clôture" (Annexe XI) et une sur "L'usage des mass media" (Annexe XII).  De nouveau, trois ans plus tard, le Chapitre Général de 1977 rédigeait deux documents sur "La Séparation du monde et l'hospitalité cistercienne" (Annexe VII-IV).  C'est tout cela qui a été repris et synthétisé dans les Cst 29-30-31.

 

1

Ceux qui ne préfèrent rien à l'amour du Christ se rendent étrangers aux manières du monde. Selon la tradition monastique, cela implique une certaine forme de séparation physique. Aussi le monastère doit-il être construit de manière à pouvoir assurer à ceux qui y demeurent le calme et la solitude.

 

            Comme c'est le cas pour la plupart de nos Constitutions, la première phrase de la Cst 29 exprime le principe spirituel qui donne tout son sens à la législation qui suit.  "Ceux qui ne préfèrent rien à l'amour du Christ se rendent étrangers aux manières du monde".  Il ne s'agit donc pas simplement de se créer une petite existence tranquille où l'on n'est pas dérangé.  Il s'agit d'une question d'amour.  Si notre vie est fondée sur un véritable amour du Christ, tout prend son sens.  S'il n'y a pas cet amour, rien n'a de sens. 

 

            Si l'on aime vraiment le Christ, et surtout si on le désire de toute l'ardeur de notre coeur, alors, comme le demande saint Benoît, on ne préférera rien à cet amour; et c'est cela qui nous amènera à "nous rendre étrangers aux manières du monde".  Il est difficile de traduire autrement l'expression latine; mais celle-ci est à la fois plus forte et plus nuancée: saeculi actibus se faciunt alienos.  Il ne s'agit pas vraiment des affaires du monde comme tel, mais des affaires du "siècle", c'est-à-dire de ce qui est temporel et éphémère.  Comme dit l'Écriture, notre véritable demeure est dans le ciel et c'est là que doit être notre coeur.  S'il y est, nous nous considérerons et nous nous ferons tout simplement "étrangers" non pas aux personnes qui vivent dans le monde, mais aux façons d'agir, aux manières du siècle.

 

            Il s'agit donc d'une solitude du coeur, c'est-à-dire d'un coeur qui n'a qu'un seul (solus) amour;  mais nous savons que, comme nous l'enseigne toute la tradition monastique, une telle solitude du coeur n'est pas possible sans une certaine séparation physique.  Cette séparation physique doit s'exprimer dans la façon même dont le monastère est construit, qui fait que ce n'est pas un lieu de libre passage, mais un endroit où les moines savent qu'ils trouveront toujours le calme (quies) et la solitude.

 

2

Les bâtiments où vivent et travaillent les moines leur sont strictement réservés. Cependant l'église est accessible aux fidèles, surtout aux moments de la célébration publique du culte divin. Il appartient à l'abbé, avec le consentement de son conseil, de fixer les limites de la stricte clôture. Il lui revient aussi, pour un juste motif, de permettre à des étrangers d'y entrer et aux moines d'en sortir. Dans l'usage des moyens de communication sociale, c'est-à-dire radio, télévision, téléphone, le discernement nécessaire est gardé; cet usage ne peut être autorisé que si l'esprit propre de la vie contemplative est dûment préservé. Les moines sont soigneusement formés à cette discipline de la séparation du monde. Ce n'est pas seulement à l'abbé, mais aussi à chacun des frères qu'il incombe de mettre ces principes en application.

 

            Le deuxième paragraphe énumère un certain nombre de conséquences pratiques de ce principe.  Contrairement à certaines législations anciennes, on n'essaye pas ici de prévoir tous les cas et de faire une règle pour chaque cas.  Dans cette Cst., comme dans les "directives pastorales" de 1974 et 1977 et déjà dans le SUP de 1969, on appelle chaque communauté à appliquer ce principe général d'une façon sincère et intelligente.

 

            Toute la propriété du monastère, qui, dans les communautés plus anciennes, est parfois étendue n'est pas à mettre sur le même pied.  On fait donc une distinction entre les bâtiments où vivent et travaillent les moines et tout le reste.  Ces bâtiments où vivent et travaillent les moines leur sont normalement strictement réservés.  Cela veut dire par exemple que nous ne recevons pas de personnes de l'extérieur dans nos cellules.  Si les circonstances font que l'on doive se faire aider pour certains travaux ou pour une partie de l'entretien de la maison par des employés laïques, nous devons les laisser faire tranquillement leur travail, et ne pas aller bavarder avec eux si nous ne sommes pas responsables du secteur où ils travaillent. (Dans un monastère la cuisine devient facilement un lieu de rencontre et de potins... alors, si on a des cuisiniers laïcs, on risque de les utiliser pour apprendre les nouvelles...).

 

            Par ailleurs, la Cst prévoit explicitement que "l'église est accessible aux fidèles, surtout aux moments de la célébration publique du culte divin" (nous reviendrons là-dessus lorsque nous verrons la Cst suivante sur l'accueil des hôtes. 

 

            Dans certains monastères la séparation entre hôtellerie et communauté n'est pas aussi claire qu'elle peut l'être ici.  Il appartient alors à l'abbé, avec le conseil de déterminer ce qu'on considère l'espace réservé aux moines et ce qui est à la disposition des visiteurs ou des retraitants.  Il est aussi laissé au jugement de l'abbé d'autoriser des personnes de l'extérieur (hommes ou femmes) de venir par exemple au chapitre ou encore à l'infirmerie, soit pour donner des soins ou visiter un malade.

 

            Toute la deuxième partie de ce numéro traite de l'utilisation des moyens de communication :  il s'agit du courrier, de la radio, de la TV, du téléphone, de l'Internet, etc.  Tout évolue si rapidement dans ce domaine, qu'il serait ridicule de vouloir tout prévoir dans des règlements.  Si nous avons un véritable esprit de solitude (enraciné dans un profond amour du Christ) nous saurons spontanément ce qui convient et ce qui ne convient pas.  Si cet amour manquait aucun règlement ne servirait à rien.  Mais même si nous avons ce sens profond de la solitude, il sera nécessaire de faire périodiquement un discernement personnel et communautaire pour voir où nous en sommes.  (Voyons quelques cas particuliers....)

 

            La fin du texte rappelle avec une certaine sagesse, d'abord qu'un formation à la solitude est nécessaire (cela ne va pas de soi) et ensuite que nous sommes tous responsables, et non seulement l'abbé, de maintenir dans la communauté une atmosphère de solitude et de séparation du monde.

 

Armand VEILLEUX