Chapitre du 29 juin 2003 à la Communauté de Scourmont

 

 

La simplicité (C. 27)

 

 

A l'exemple des Pères de Cîteaux qui recherchaient une relation simple avec le Dieu simple, la façon de vivre des frères est simple et frugale. Que tout dans la maison de Dieu soit en harmonie avec ce genre de vie où le superflu n'a aucune part, en sorte que la simplicité elle-même puisse être un ensei­gnement pour tous. Que cette simplicité apparaisse clairement dans les bâtiments et le mobilier, dans la nourriture et le vêtement, et jusque dans la célébration liturgique.

 

ST 27.A

Le monastère devrait se faire remarquer par sa beauté et sa simplicité. Les frères prennent soin de préserver judicieusement son environnement et de gérer avec prudence ses ressources naturelles.

 

            L'un des bons souvenirs de mon noviciat est d'y avoir étudié durant un bon bout de temps le document rédigé par Dom Jean-Baptiste Chautard pour le Chapitre Général de 1925 et intitulé : "L'esprit de simplicité, caractéristique de Cîteaux".  Je l'ai relu rapidement hier pour préparer ce bref commentaire de la Cst. 27 sur la simplicité.  La partie la plus riche de cette étude est sans doute la première où Dom Chautard parle de la simplicité intérieure  sans laquelle les manifestations extérieures de simplicité seraient sans valeur. 

 

            En parlant de simplicité intérieure il n'entend pas seulement une attitude intérieure de détachement et de pauvreté.  Il se situe à un niveau théologique.  Pour lui, cette simplicité intérieure se résume dans la petite phrase de la Règle : si vere Deum quaerit (s'il cherche vraiment Dieu).  La simplicité intérieure consiste donc dans l'intention droite de l'âme dirigée vers sa fin, qui est Dieu.  C'est la caractéristique du moine, épris de l'idéal exclusif de l'union à Dieu.  Elle fait du moine un vrai contemplatif, quelqu'un dont le regard de l'âme est fixé vers l'unique objet de son amour.

 

            Dom Chautard cite beaucoup la Règle et, abondamment, saint Bernard;  mais dans toute une section de cette première partie, il s'inspire de Denys l'Aréopagite pour qui les moines ont reçu leur nom "a cause de cette vie indivisible et une, où la sainte union de toutes leurs puissances les conduit au un, jusqu'à l'unité déiforme"  "De même que le chrétien, à son baptême, s'engage, suivant l'énergique expression de Denys, à 'tendre de toutes ses forces au un', le moine déclare à sa consécration, renoncer 'à toute sorte, à toute forme imaginable de vie divisée.. '  Il doit s'unifier de par le Un, se recueillir dans la sainte Simplicité." (Chautard, p. 6 -- on y trouvera les références à Denys).

 

            "Donc, pour celui qui, 'les yeux ouverts à la lumière divine', selon les expressions de notre Père S. Benoît, 'se hâtant vers la patrie céleste', 'va tout droit à son Créateur', tout ce qui ne conduit pas au but en détourne, et doit être retranché..  Le moine se dégage donc de tout ce qui pourrait l'appesantir et l'attacher à la terre.  Il veut être simple, et non mêlé aux choses d'en bas.  Donc, la simplicité cistercienne n'est pas simplement une réalité ascétique, et encore moins une simple préoccupation esthétique.  Elle est une attitude spirituelle.

 

            C'est dans cet esprit qu'il faut lire le texte de notre Constitution 27, qui affirme d'abord que  l'exemple des Pères de Cîteaux qui recherchaient une relation simple avec le Dieu simple, la façon de vivre des frères est simple et frugale." Le point de référence, ce sont nos Pères de Cîteaux, mais, avant tout, leur recherche spirituelle et non seulement leur simplicité extérieure.  "Rechercher une relation simple avec le Dieu simple" n'est pas chose facile.  Un moyen proprement cistercien d'y arriver est de cultiver une simplicité extérieure dans tous les aspects de la vie : nourriture, vêtements, mobilier, instruments de travail, où tout superflu doit être évité.

 

            Les cisterciens ont toujours donné une grande importance à la simplicité de l'architecture.  Celle-ci révèle l'état d'âme et d'esprit de ceux qui l'inventent, tout comme elle a, par la suite, une influence formatrice sur ceux qui y vivent.  Sans porter de jugement de valeur, il me semble qu'on ne doit pas développer la même spiritualité au fil des années en priant dans une église de style cistercien traditionnel, toute dépouillée et caractérisée par la pureté des lignes que si l'on prie tous les jours dans une église baroque.  Tout comme prier tous les jours dans une église sombre et peu éclairée ne doit pas disposer spirituellement de la même façon que prier dans une église où la lumière entre abondamment.  Et encore là, une lumière légèrement tamisée par des vitraux de grisaille n'a pas le même effet que celle qui passe à travers des vitraux aux couleurs vives.

 

            Notre Constitution dit que la simplicité doit apparaître jusque dans nos célébrations liturgiques.  Il ne faut pas nécessairement allier simplicité avec pauvreté.  Pour une communauté qui en est capable, un office très élaboré en textes et en formes musicales peut demeurer simple;  par ailleurs le petit nombre de personnes ou le manque de capacités vocales peut nous amener à une très grande sobriété dans les formes; mais il faut alors veiller à ce que cette sobriété ne devienne pas une trop grande pauvreté.  Et si les circonstances nous réduisent à une telle pauvreté elle doit être digne et demeurer une authentique simplicité.

 

            Ce qui est opposé à la simplicité, dans notre vie spirituelle comme dans notre vie extérieure, ce n'est pas la complexité, mais bien la "complication".  L'univers, tel qu'il a été créé par Dieu, depuis l'infiniment petit jusqu'au galaxies les plus étendues est d'une complexité extraordinaire, mais en même temps d'une grande simplicité.  La complication c'est nous qui la faisons.  Elle est le résultat d'un manque de direction et d'un manque d'unité.

 

            Dans un montage, qu'il soit artistique ou mécanique, il peut y avoir une très grande complexité d'éléments; mais cela peut demeurer authentiquement simple, si tout est harmonieusement orienté vers la même fin clairement définie.  Il en est ainsi de la vie.  Le génome humain est d'une complexité immensément plus grande que celui d'une organisme monocellulaire; il n'en est pas moins simple.  Ainsi, dans notre vie de tous les jours, selon les responsabilités que nous pouvons avoir dans la communauté, nous pouvons être amenés à nous occuper d'un nombre plus ou moins grands de choses.  La simplicité de notre vie spirituelle ne dépend pas de la complexité plus ou moins grande de nos occupations et activités, mais de l'harmonie que nous établissons ou non entre ces occupations, et de la façon dont nous les ordonnons toutes vers un but ultime qui demeure toujours notre communion à Dieu.  Certains peuvent se nourrir spirituellement, toute leur vie, d'un seul livre;  d'autres liront de très nombreux auteurs, dans plusieurs domaines.  Encore là la simplicité réside dans l'harmonie et l'unité de la recherche spirituelle et non dans le nombre plus ou moins grand des points d'intérêt.

 

            La dernière phrase du Statut 27.A prend une importance pratique de nos jours.  Elle nous invite à prendre soin judicieusement de notre environnement et de gérer avec prudence les ressources naturelles.  Cela nous invite à éviter toutes les formes de gaspillage (en énergie, par exemple) caractéristiques de notre société de consommation;  mais nous invite aussi à retrouver des formes d'agricultures qui respectent l'équilibre normal de la nature.

 

            À Scourmont nous avons le privilège d'être entourés d'une très belle nature.  C'est notre devoir de la préserver dans sa beauté et son harmonie.  Le soin de nos forêts, tout comme le retour graduel à une agriculture entièrement "biologique" vont dans ce sens. Permettre à nos visiteurs d'avoir accès à cette beauté (par exemple, dans le parc) est une façon de partager une dimension spirituelle de notre vie.

 

Armand VEILLEUX