Chapitre du 29 juin 2003 à la Communauté de Scourmont

 

 

Le travail  (Cst. 26)

 

 

C. 26 Le travail

Le travail, surtout manuel, donne aux moniales l'occasion de participer à l'œuvre divine de la création et de la rédemption et de marcher sur les traces du Christ Jésus; il jouit toujours d'une estime particulière dans la tradition cistercienne. Ce travail dur et rédempteur procure le nécessaire aux sœurs et à d'autres, spécialement aux pauvres, et manifeste la solidarité des moniales avec la foule des travailleurs. Il est aussi l'occasion d'une ascèse profitable, favorisant l'évolution et la maturité personnelle, entretenant la santé du corps et de l'esprit; enfin, il contribue beaucoup à la cohésion de toute la communauté.

            Dans la section de nos Constitutions qui traite de l'ascèse monastique, le travail tient une place privilégiée.  Il est d'ailleurs rappelé d'emblée qu'il jouit d'une estime particulière dans la tradition cistercienne.  Derrière cette expression il y a évidemment une allusion directe au chapitre 15 du Petit Exorde de Cîteaux, où il est expliqué que les premiers Cisterciens, contrairement aux coutumes du monachisme contemporain qui, inséré dans le système féodal, vivait généralement des revenus provenant des droits qui leur étaient cédés par des seigneurs sur des terres, des églises, des moulins, etc. décidèrent de vivre de leur propre travail.  Ils se voulaient en cela fidèles à la Règle de saint Benoît et à l'exemple du monachisme primitif.

 

            Un bref paragraphe des Constitutions ne peut évidemment élaborer toute une théologie du travail.  Il n'en sera que plus éclairant de voir quels aspects du travail l'Ordre a retenus comme les plus importants lors de la rédaction de nos Constitutions. 

 

            La première phrase affirme l'aspect le plus essentiel, qui fonde toute la dignité du travail humain.  C'est que celui-ci est une participation à l'oeuvre divine et la création et de la rédemption et donne au moine l'occasion de marcher sur les traces du Christ Jésus.  En effet, Dieu est toujours en train de créer le monde et la création sort d'une façon continuelle des mains du créateur, si bien que tout travail qui réalise quelque chose est une participation à l'activité créatrice de Dieu.  Ce qui lui donne non seulement une dimension spirituelle mais aussi une dimension authentiquement contemplative.  Cela, notre texte l'affirme non seulement du travail en général, mais tout spécialement du travail manuel, que n'a pas dédaigné le Fils du Charpentier de Nazareth.

 

            Sont ensuite énumérés en deux phrases, sans plus de commentaires, plusieurs autres aspects du travail:

 

a) Le travail procure le nécessaire aux frères et à d'autres, spécialement aux pauvres.  Conformément à une tradition monastique des plus anciennes, enracinée elle-même dans la description de la première communauté de Jérusalem donnée par les Actes des Apôtres, les moines doivent se procurer par leur travail non seulement ce qu'il leur faut pour vivre, mais aussi ce qui leur est nécessaire pour secourir les pauvres et contribuer aux besoins de l'Église.

 

b) Le travail manifeste la solidarité des moines avec la foule des travailleurs.  En effet, la très grande majorité des hommes et des femmes doivent se procurer leur nourriture et satisfaire à leurs autres besoins par leur travail, et souvent par un dur travail.  À l'exemple du Christ qui a partagé le sort des plus petits, le moine se rend et se sent solidaire de toute cette immense foule, lorsqu'il choisit de gagner sa vie par son travail.

 

c) La phrase suivante indique plusieurs façons selon lesquelles le travail est une ascèse profitable:

 

1. il favorise l'évolution et la maturité personne.  Ce qui se réalise si le travail est accompli de façon responsable, répondant à toutes les exigences d'un travail professionnel.  Ce qui n'est pas le cas lorsque le travail est fait en amateur et sans sérieux.  Un passe-temps (hobby) peut détendre mais il ne fait ni grandir ni mûrir. 

 

2. il entretient la santé du corps et de l'esprit, s'il est accompli, évidemment, dans les conditions suffisantes de sérénité et d'harmonie.

 

3. il contribue beaucoup à la cohésion de toute la communauté.  Cela est particulièrement vrai dans les communautés où il y a un travail commun auquel tous -- ou à peu près tous -- participent.  Le fait de participer ensemble, dans l'harmonie, à une tâche commune contribue évidemment à la cohésion communautaire.  Cela est cependant tout aussi vrai même dans les communautés au personnel réduit, où chacun doit remplir son propre travail, souvent isolé, sans qu'il n'y ait aucun travail vraiment commun.  S'il y a une véritable conscience communautaire et un vrai sens de communauté, le travail est tout aussi facteur de cohésion lorsque l'on doit faire chacun dans son bureau tel ou tel travail de comptabilité ou d'administration, recevoir les hôtes, faire la cuisine ou faire le ménage.  Cette cohésion est le fruit d'un état d'âme et d'une attitude spirituelle plutôt que du fait de travailler dans une même salle à la même tâche.

 

            Ce que nos Constitutions disent du travail "surtout manuel" vaut tout aussi bien de toute autre forme de travail, surtout dans les pays techniquement très développés où le travail est tout aussi nécessaire et exigeant  qu'ailleurs ou qu'autrefois, mais où l'intervention directe sur la matière par des travaux proprement "manuels" devient de plus en plus rare.  Le travail administratif incluant l'utilisation fréquente de l'informatique est lui aussi, de nos jours, une forme de solidarité "avec la foule des travailleurs".

 

            Il n'y a pas non plus à se culpabiliser si beaucoup de nos communautés actuelles, où, souvent,  la majorité des moines ou des moniales ont dépassé l'âge de la retraite, vivent en grande partie de pensions ou de revenus provenant directement ou indirectement du travail des années antérieures ou même des générations antérieures.  C'est une caractéristique de l'économie contemporaine dans laquelle nous devons nous insérer, qu'une partie du fruit de notre travail nous revient directement, alors que l'autre partie nous revient plus tard, comme salaire différé, sous forme de pensions ou d'intérêts.  Même en ce domaine, surtout en ces dernières années, nous participons à l'insécurité que connaissent tous les travailleurs face à leur avenir et à leur retraite.

ST 26.A
La durée du travail est déterminée selon ce qu'exigent la vie monastique et les nécessités locales. Les sœurs s'adonnent chaque jour au moins pendant quatre heures au travail qui cependant ne dépasse pas habituellement six heures
.

 

            Pour ce qui est de la durée du travail, les circonstances étant si différentes d'une communauté à l'autre, nous n'avons pas voulu faire dans les Constitutions de réglementation précise, mais simplement donner certaines orientations.  Le but est de garder un équilibre au sein de la journée monastique entre prière, travail et lectio.  Comme règle générale il est demandé que le travail occupe au moins quatre heures par jour et ne dépasse pas six heures.  Il va sans dire que cette directive ne peut s'appliquer mathématiquement, puisqu'il faut tenir compte de l'âge et de la santé de chaque personne, ainsi que des circonstances de chaque communauté.  Il faut souvent ajouter aux heures de travail "officiel", bien des tâches domestiques comme la vaisselle, le ménage, la propreté des lieux, et pour certains l'attention spirituelle aux retraitants, et bien des tâches administratives. 

 

            Il va sans dire que l'équilibre entre les heures de travail, la prière et la lectio n'est pas le même pour tous.  Mais nous avons tous le devoir de veiller à maintenir ou à retrouver cet équilibre, si nous voulons que notre travail ait vraiment toutes les qualités spirituelles décrites dans cette Constitution.