Chapitre du
1 juin 2003 à la Communauté de Scourmont
C. 25 L'ascèse
monastique
Le repos de l'esprit qui
se cultive dans le silence est aussi le fruit de la pureté et de la simplicité
du cœur. Aussi le moine accepte-t-il volontiers, dans un esprit de joyeuse
pénitence, les moyens utilisés pour cela dans l'Ordre : le travail, la vie
cachée, la pauvreté volontaire, ainsi que les veilles et les jeûnes.
La Constitution 25, qui
a comme titre L'ascèse monastique
constitue une introduction aux six ou sept prochaines constitutions qui se
rapportent toutes à ce qu'on pourrait considérer comme des aspects
"ascétiques" de la spiritualité ou de la vie monastique.
Le mot
"ascèse" ne revient pas souvent dans nos Constitutions. En réalité il apparaît uniquement dans le
titre de la présente Cst et ensuite une seule autre fois dans la Cst suivante
où il est dit que le travail est l'occasion d'une ascèse profitable. Cette réticence à utiliser le mot "ascèse"
et l'adjectif "ascétique" (qui n'apparaît nulle part dans nos
Constitutions), s'explique sans doute par le fait qu'à l'époque
post-conciliaire on était encore en réaction contre une spiritualité qui avait
durant plusieurs générations privilégié l'ascèse au dépens de la contemplation.
La notion d'ascèse, héritée
de la philosophie grecque appartenait à la conception ancienne de
l'éducation. Selon une longue tradition,
reprise par le philosophe Épictète, la nature (physis), c'est-à-dire les dons naturels, était cultivée par un
enseignement abstrait (máthèsis)
et par l'ascèse (askesis)
ou l'exercice systématique. Cette
conception humaniste de l'éducation, où l'effort humain tient une place
capitale, était le propre de la culture grecque et bien différente de la
confiance en Dieu du monde hébraïque.
Mais les deux n'étaient pas incompatibles; et aussi bien les divers courants de l'ascèse
grecque que l'apport d'autres traditions ascétiques venues de l'Inde bouddhiste
avaient fait naître au sein du judaïsme tardif, peu de temps avant le Christ,
un fort mouvement ascétique. C'est de la
rencontre de ce grand courant avec le message évangélique que naquirent les
doctrines ascétiques des premiers siècles chrétiens et du monachisme primitif.
À la suite d'Origène et
d'Évagre, puis de Cassien,
on distinguera dans le chemin vers la perfection deux voies, ou plutôt deux
étapes complémentaires la praktikè, ou "science pratique", correspondant à
ce que nous appelons l'ascèse et la theoretikè, ou
contemplation. Il ne faut pas les voir
comme deux étapes successives dans le temps, mais comme deux aspects
complémentaires, étant bien entendu que l'effort ascétique de purification du
coeur et de la vie est indispensable pour arriver à l'union contemplative avec
Dieu. De plus, les auteurs monastiques
anciens distinguent souvent entre l'ascèse "corporelle" (dont on
parlera dans les numéros suivants) et l'ascèse "spirituelle" (traitée
dans plusieurs des Csts que nous avons déjà
commentées).
La Cst 24 avait parlé
du silence. La Cst. 25 s'y raccroche en
disant que le repos (ou plutôt la "tranquillité" -- quies) de
l'esprit, qui se cultive dans le silence est aussi le fruit de la pureté et de la simplicité du coeur. La phrase
suivante : Aussi le moine accepte-t-il
volontiers... etc.) montre bien comment s'articule
la doctrine spirituelle de nos Constitutions.
Le but ultime de la vie monastique (comme d'ailleurs de toute vie
chrétienne) est d'arriver à l'union contemplative avec Dieu. On y arrive par la pureté et la simplicité du
coeur (bienheureux les coeurs purs, ils
verront Dieu). Or, pour arriver à
cette pureté et cette simplicité du coeur, qui sont
des dons de Dieu, un effort humain constant de purification est requis. La vie monastique est un ensemble de moyens
offerts pour arriver à ce but. Les
principaux, mentionnés aussi, feront chacun (ou ont fait) l'objet d'une Cst
particulière. Ce sont le travail, la vie
cachée, la pauvreté volontaire, ainsi que les veilles et le jeûne.
De plus il est dit que
le moine accepte volontiers (libenter amplectetur)
ces moyens. Cela nous rappelle le
chapitre de la Règle de saint Benoît sur l'acceptation des frères, où Benoît
insiste tellement sur le fait qu'à chaque instant de son année de
"formation" le novice est totalement libre de partir ou d'assumer les "instruments" que lui
offre la Règle.
Enfin, cette ascèse ne
doit pas engendrer de tristesse ou de renfrognement; mais doit être réalisée dans un esprit de
joyeuse pénitence. Or, cette joie dans
la pénitence n'est possible que si l'on possède déjà en désir l'objet vers
lequel on tend. Ce désir est déjà une
forme de contemplation.
On voit donc que cette
brève Constitution composée d'à peine quatre lignes, est beaucoup plus qu'une
sorte de table des matière des Csts
suivantes. Elle nous donne
l'articulation théologique de la doctrine ascétique de nos Constitutions.