Chapitre à
la Communauté de Scourmont -- 25 mai 2003
Constitution 24 : La garde du silence
Dans l'Ordre, le silence est une des principales valeurs
de la vie monastique. Il assure la solitude du moine dans la communauté. Il
favorise le souvenir de Dieu et la communion fraternelle; il ouvre aux inspirations
de l'Esprit-Saint, entraîne à la vigilance du cœur et à la prière solitaire
devant Dieu. C'est pourquoi en tout temps, mais surtout aux heures de la nuit,
les frères s'appliquent au silence, gardien de la parole en même temps que
des pensées.
Après avoir parlé de la lectio divina, de la vigilance du coeur
et des veilles de la nuit, nos Constitutions traitent de "La garde du silence", reprenant le
titre du chapitre 6 de la Règle: De
taciturnitate. Cette Constitution
est un bel exemple d'un texte fort bref qui indique les points de contact
entre une de nos observances monastiques et tous les autres aspects de la
spiritualité monastique.
La première phrase dit : "Dans l'Ordre, le silence est une des principales
valeurs de la vie monastique. Il assure la solitude du moine dans la communauté".
Ce n'est pas une valeur absolue;
c'est une des valeurs, qui fait partie d'un groupe d'autres valeurs
avec lesquelles elle a des relations, et c'est comme telle
qu'elle est une des valeurs caractéristiques de notre Ordre.
Mais pourquoi le silence est-il si important: Les phrases suivantes
de la Constitutions en donnent quatre ou cinq raisons théologiques:
v
Le silence assure
la solitude du moine dans la communauté.
v
Il favorise le
souvenir de Dieu et la communion fraternelle;
v
il ouvre aux
inspirations de l'Esprit-Saint;
v
il entraîne à
la vigilance du cœur et à la prière solitaire devant Dieu;
v
il est le gardien
de la parole en même temps que des pensées.
Voilà donc cinq raisons pour lesquelles
le silence est important. Les lire rapidement ne nous dira pas grand chose. Cela apparaîtra comme de belles paroles. Mais
portons-y un peu plus d'attention. Ce
ne sont pas des raisons choisies par une personne qui voulait écrire quelque
chose de beau sur le silence. Elle sont le fruit de la réflexion de tout l'Ordre. Elles ne répètent pas simplement la Règle;
elles l'interprètent. Ces raisons données pour l'importance du silence
ont été approuvées par les Chapitres Généraux de 1984, 1985, 1987 et finalement
par le Saint Siège en 1990. Réfléchissons-y
quelque peu:
1) Le silence assure
la solitude du moine dans la communauté. -- Dans cette petite phrase sont
mentionnées deux autres valeurs importantes: la solitude et la communauté. On a déjà dit, à la Cst. 5, que les frères,
réunis par la voix divine, constituent une église ou communauté monastique,
qui est la cellule fondamentale de l'Ordre. Une église est une communion de
personnes qui manifestent visiblement la communion avec Dieu. Nous sommes là au coeur de la dimension contemplative
de notre vie. Et quand on parle de
communion on parle de communauté cénobitique, de relations entre les personnes.
De la solitude on parlera un peu plus
loin, sous le titre de "séparation du monde".
Il serait facile de penser que ces
deux valeurs de la communauté et de la solitude ont été mentionnées ensemble
comme deux pôles complémentaires, ou deux pôles entre lesquels il faut maintenir
une juste tension. Mais on dit plus
et autre chose. On dit que le silence
assure au moine la solitude dans la communauté. Chacun des deux éléments fait partie de l'autre.
Il existe une communion dans la solitude; et celle-ci n'est pas simplement
un seul à seul avec Dieu. La solitude elle-même est communautaire et la
vie communautaire est solitaire.
2) ðvLe silence favorise le souvenir de Dieu et la
communion fraternelle. -- Le fait que la réalité de la communion (qui se trouvait
déjà implicitement dans la mention de la communauté, soit mentionnée de nouveau
montre qu'on a voulu ici non seulement juxtaposer le souvenir de Dieu (memoria
Dei) et la communion entre les frères, mais aussi souligner le lien entre
les deux réalités. Il s'agit de deux faces de la même médaille.
Du souvenir de Dieu on avait déjà parlé dans la Cst. 20, comme un moyen
de prolonger l'Opus Dei durant toute
la journée. Et l'Opus Dei n'est qu'une des formes de célébration de la liturgie, dans
laquelle, dit la Cst. 17, se manifeste d'une façon spéciale la fin spirituelle
de la communauté. Nous avons donc dans
cette série de constitutions une grande construction théologique : Le but de la vie monastique
est d'arriver à l'union avec le Christ, sous l'action de l'Esprit Saint, à
travers la conversion continue. Ceci
se réalise dans la liturgie et particulièrement dans l'Office Divin;
et cette union se prolonge toute la journée à travers le souvenir de
Dieu, c'est-à-dire une attention constante à sa présence.
Or, il est dit ici, dans une phrase très dense que le silence favorise
ce souvenir de Dieu et la communion entre les frères.
Cela veut souligner le fait que plus nous sommes unis à Dieu, plus
nous somme unis à nos frères, et vice versa, et qu'une union n'est pas possible
sans l'autre. Un silence qui serait vide et simple absence
de paroles, pourrait facilement détruire la communion; mais un silence qui est présence, attention,
fait croître la communion avec Dieu comme avec les autres.
* * *
Je ne commenterai pas les autres affirmations
de cette Cst. Si vous faites attention,
vous verrez que chacune de ces affirmations sur le silence correspond à une
Constitution antérieure. Le souvenir
de Dieu a été traité à la Cst. 20; la mention de la vigilance du coeur correspond
à la Cst. 22; et ce qui est dit des inspirations de l'Esprit correspond à
la Cst. 21 sur la Lectio divina,
où il était dit que la lectio est
source d'oraison et école de contemplation, où le moine parle coeur à coeur
avec Dieu. Le silence crée, non seulement
extérieurement, mais aussi dans le coeur, un contexte où ce coeur à coeur
avec Dieu peut avoir lieu.
Si nous avons intériorisé tout cela,
nous n'aurons pas besoin de beaucoup de règlements sur la façon d'observer
le silence; et chaque communauté trouvera sa propre façon d'interpréter ces
normes en leur donnant une expression vraie et authentique dans la situation
concrète. Seuls deux brefs statuts
accompagnent cette Constitution:
ST 24.A
Selon la tradition de l'Ordre le silence doit être observé
surtout dans les lieux réguliers, tels l'église, le cloître, le réfectoire,
le scriptorium. La récréation n'est pas en usage dans les communautés
de l'Ordre.
ST 24.B
D'autres normes fixant l'usage de la parole, notamment
au chapitre et dans les cellules, sont déterminées par chaque communauté et
vérifiées lors de la visite régulière.