Chapitre du
4 mai 2003
La
Vigilance du coeur (Cst. 22)
Le titre latin de la
Constitution 22 est De intentione cordis,
ce qui n'est pas facile de traduire. On
l'a rendu, dans la traduction française des Constitutions par "La
vigilance du coeur", ce qui rend assez bien l'original. Mais, en latin il y a quand même une nuance
supplémentaire : celle d'une constante tension vers un but, et donc celle du
désir. L'expression est tiré du chapitre
52 de la Règle, sur l'oratoire du monastère où il est dit qu'entre les Offices
communautaires si un frère veut prier en son particulier, il peut entrer
simplement et prier "avec larmes et l'attention du coeur" (in lacrimis et intentione cordis).
Chez les Pères du
monachisme, en particulier chez Pachôme, on rencontre assez souvent la notion
de "vigilance" mais dans un sens plus pragmatique. Il s'agit d'être constamment sur ses gardes
de peur que l'ennemi ne nous surprenne et ne nous fasse tomber. Ici il y a une approche plus contemplative
et, en quelque sorte, plus mystique.
C. 22 La
vigilance du cœur
En esprit de componction et dans la ferveur d'un désir
intense, les moines s'adonnent fréquemment à l'oraison. Demeurant sur terre,
ils vivent en esprit dans les cieux, désirant la vie éternelle de toute leur
ardeur spirituelle. Que la bienheureuse Vierge Marie élevée au ciel, vie,
douceur et espérance de tous les pèlerins sur la terre, ne soit jamais loin de
leurs cœurs.
La première phrase dit
: "En esprit de componction et dans la ferveur d'un désir intense, les moines
s'adonnent fréquemment à l'oraison".
Il aurait probablement était préférable de traduire par oratio simplement par
"prière", plutôt que par "oraison", car ce dernier mot peut
facilement être entendu comme une observance (dans le sens de faire son quart
d'heure, sa demi-heure ou son heure d'oraison).
Ce dont il s'agit ici c'est beaucoup plus d'une attitude et d'une
attitude qui doit être aussi constante que possible. D'ailleurs l'expression "s'adonner
à" (le latin incumbere est
encore plus fort) implique cette nuance de permanence. Mais comme on ne peut bien sûr pas maintenir
cette attitude avec une intensité toujours soutenue, il faut s'y replonger
"fréquemment", ce qui reprend le 56ème instrument des
bonnes oeuvres (RB 4,56)
L'esprit dans lequel
cela doit se faire est exprimé également par des citations de la Règle de saint
Benoît. Cela doit se faire dans un
esprit de componction, c'est à dire de conscience de son besoin de pardon et de
guérison. Cette componction fait naître et entretient un "désir"
intense. On retrouve ici un autre
instrument des bonnes oeuvres, le nº 46 : "désirer la vie éternelle de
toute sa convoitise spirituelle".
Si le moine nourrit ce
désir, il vit déjà en esprit dans les cieux, tout en demeurant encore sur
terre, affirme la phrase suivante. On
reconnaît bien sûr la phrase de saint Paul (Ph 3,20) souvent reprise par nos
Pères : "Notre cité à nous est dans les cieux".
ST 22.A
L'abbé veille avec prudence à ce que les frères
disposent du temps à consacrer chaque jour à la lectio et à l'oraison.
Le statut qui
accompagne cette Constitution demande à l'abbé de veiller avec prudence à ce
que les frères disposent du temps à consacrer chaque jour à la prière. La prière est une chose très
personnelle. Il n'appartient pas à l'abbé
de savoir si quelqu'un prie et comment il prie (en dehors des offices
communautaires); mais l'abbé doit
s'assurer que chaque moine dispose du temps pour le faire. Il doit donc voir à ce que personne ne soit
trop surchargé de travail et de responsabilités -- ce qui peut être difficile
dans une communauté aux effectifs réduits.
Enfin, cette Constitution comporte une mention de la
bienheureuse Vierge Marie. Certains
auraient pensé que l'on manquait de dévotion à la Vierge Marie si son nom
n'apparaissait pas de temps à autres dans les Constitutions... bien que cela ne
s'impose pas nécessairement dans un texte législatif. Il y a des cas où cette mention arrive un peu
comme un cheveu sur la soupe. Ici,
cependant, cette mention de Marie s'intègre très bien dans le contexte
immédiat. Puisque Marie, après la scène
du recouvrement de Jésus au Temple, et la conversation qu'elle eut avec Jésus à
ce moment-là, gardait toutes ces choses dans son coeur, elle est certainement
l'exemple par excellence de l'intentio
cordis, ou de la vigilance du coeur.
L'expression "Marie... vie, douceur et espérance de tous les
pèlerins sur la terre" nous rappelle évidemment les paroles du Salve
Regina, que nous chantons tous les soirs à la fin de Complies. Ce que la Constitution demande c'est que
Marie ne soit jamais loin du coeur de chaque moine.