13 avril 2003

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Le souvenir de Dieu (Cst. 20)

 

            Après les deux Constitutions sur l'Eucharistie et sur l'Oeuvre de Dieu, nous en avons une très brève sur le souvenir de Dieu (Memoria Dei).  Elle comporte trois phrases.  La première dit ce qu'est la memoria Dei, la seconde et la troisième rappellent leurs obligations à ce sujet à l'abbé et à toute la communauté.

 

C. 20                Le souvenir de Dieu

 

Par le continuel souvenir de Dieu, les frères prolongent l'Œuvre de Dieu tout au long du jour. Aussi l'abbé doit-il veiller à ce que chacun ait amplement le loisir de vaquer à la lectio et à la prière. Tous ont le souci de rendre l'environnement du monastère propice au silence et au recueillement.

 

            L'obligation fondamentale pour le moine comme pour tout chrétien est celle de la prière continuelle.  Comment arriver à cette prière continuelle?  -- On n'y arrive pas en actionnant des "moulins à prière" physiques, comme dans certaines traditions orientales ni des moulins à prière psychologiques comme sont beaucoup des "méthodes" de prière inventées de nos jours, mais en gardant vivant en son cœur la conscience de la présence de Dieu, que les Anciens appelaient memoria Dei. 

 

            Il est évident que cette conscience de la présence de Dieu sera parfois plus vive et à d'autres moments dans un état plutôt latent;  mais il est possible -- et même nécessaire -- de la rendre et garder permanente.

 

            La première phrase de notre Constitution souligne le lien étroit entre cette prière continuelle et l'Office Divin.  Les divers Offices que célèbre la communauté tout au long de la journée ne sont pas les seuls moments de prière du moine.  Ils sont simplement les moment où, dans une communauté monastique, on célèbre en commun cet élément important de notre vie spirituelle qu'est notre relation avec Dieu dans la prière.  D'une part, comme il est dit ici, le souvenir continuel de Dieu prolonge tout au long de la journée l'Oeuvre de Dieu; mais, d'autre part, il faudrait ajouter que l'Oeuvre de Dieu est une suite de moments forts dans cette prière continuelle et que, si celle-ci n'existe pas, l'Oeuvre de Dieu devient un simple rituel vidé de contenu et de sens.

 

            Il y a divers moyens de maintenir vivant ce souvenir de Dieu.  L'un d'entre eux est la lectio divina, et l'autre est la "prière", c'est-à-dire des moments où l'on cesse toute autre activité pour se concentrer d'une façon ou d'une autre sur cette Présence de Dieu qui nous habite, soit dans un silence contemplatif, soit par l'utilisation de certaines formules comme, par exemple, la "Prière de Jésus" ou le rosaire. 

 

            Ce qui est demandé à l'abbé, dans la deuxième phrase de la Constitution, ce n'est pas de voir à ce que tous les frères vivent dans un continuel souvenir de Dieu.  Ce ne serait pas possible. C'est d'ailleurs là le secret de chacun dans sa relation intime avec Dieu, et son entière responsabilité.  Ce dont l'abbé est responsable est de veiller à ce que chaque frère ait amplement de loisir (otium) pour vaquer à ce qui peut nourrir ce souvenir continuel : la lectio et des moments de prière.  Cela n'est pas nécessairement simple dans des communautés réduites en nombre où certains sont nécessairement plus chargés que d'autres.  Et, évidemment, l'abbé ne doit pas oublier qu'il est lui-même un de ces frères à qui il doit assurer du temps pour la lectio et la prière.

 

            Pour qu'il soit possible de maintenir une conscience continuelle de la présence de Dieu, tout au long des nombreuses activités quotidiennes, doit régner dans la communauté une atmosphère de silence et de recueillement.  La troisième phrase de notre Constitution fait à tous les membres de la communauté le devoir de maintenir cette atmosphère.  Il ne faut surtout pas oublier que les heures de travail sont des heures où doit se maintenir et se cultiver cette memoria Dei.  C'est pourquoi, au monastère, on travaille normalement en silence, limitant l'usage de la parole à ce qui est requis pour la bonne marche du travail.  On ne doit évidemment avoir aucune hésitation à utiliser la parole dans toute la mesure où elle est nécessaire pour que le travail soit accompli d'une façon sérieuse, efficace et même professionnelle.  Mais le temps du travail n'est pas le moment pour poursuivre des entretiens spirituels (qui ont leur place ailleurs) et encore moins pour se laisser aller au bavardage.

 

ST 20.A

Tous les frères font chaque année une retraite spirituelle d'au moins six jours.

 

            Le Statut 20.A au sujet de la retraite annuelle ne fait que répéter une prescription que fait le Droit Canon à tous les religieux -- l'obligation d'une retraite annuelle.  La vie monastique étant tout entière une vie de "retraite" ou de "retrait" du monde, il aurait certainement paru bizarre aux Pères du monachisme de parler d'une semaine de "retraite" au cours de l'année, appliquant aux moines une pratique élaborée il y a quelques siècles pour les religieux actifs vivant dans des circonstances toutes différentes.  Mais il n'y a évidemment aucune objection à accepter cette "obligation"... Il me semble qu'il faut avoir à son égard la même attitude qu'a saint Benoît à l'égard du carême :  la vie du moine devrait être tout entière un carême; mais puisque le carême existe, efforçons-nous de pratiquer plus intensément et avec une ferveur et une authenticité plus grande en ce temps ce qui fait l'essentiel de notre ascèse monastique tout au long de l'année.  Ainsi, pour le moine, la "retraite" annuelle n'est pas, comme elle l'est pour le religieux actif, un moment où il se "retire" de ses activités habituelles pour vaquer à la prière;  mais plutôt un moment où il s'efforce de vivre plus en profondeur la memoria Dei tout au long de ses activités quotidiennes habituelles.

 

Armand VEILLEUX