23 février 2003

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Réconciliation avec Dieu et les frères (Cst. 15)

 

            La Constitution 14, commentée la semaine dernière, traitait de l'unité de la communauté.  La Constitution suivante traite d'un sujet ayant un lien direct avec l'unité, à savoir la réconciliation.  Comme le titre l'indique déjà il faut voir celle-ci sous deux aspects : la réconciliation avec Dieu et avec les frères.  Il serait en effet tout à fait illusoire de vouloir rechercher la réconciliation avec Dieu, si l'on ne cherche pas d'abord la réconciliation avec ses frères. "Quand tu présentes ton offrande à l’autel, dit Jésus -- si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande. (Matthieu 5:23).

 

            Le Code de Droit Canon (can. 602) voit d'ailleurs dans la communion fraternelle au sein d'une communauté religieuse un signe ou un "exemple" de réconciliation universelle dans le Christ :  "Qu'ainsi par la communion fraternelle, enracinée et fondée dans l'amour, les membres soient un exemple de la réconciliation universelle dans le Christ."

 

C. 15               La réconciliation avec Dieu et les frères

 

1

Le maintien de l'unité entre les frères n'est assuré qu'au prix d'un sincère effort mutuel de réconciliation. Aussi, pour écarter de la communauté les épines de scandale, les frères ne réservent pas un temps pour la colère, mais rentrent en paix dès que possible après un désaccord avec autrui.

 

            La première partie de la Constitution parle de la réconciliation avec les frères, et la seconde de celle avec Dieu. Et la première phrase de cette première partie affirme que le maintien de l'unité de l'unité entre les frères n'est assuré qu'au prix d'un sincère effort de réconciliation.  On parle du maintien de l'unité, car celle-ci n'est jamais acquise une fois pour toute et beaucoup de choses risquent de la compromettre.  Il faut donc veiller sans cesse à la maintenir.  On parle aussi d'un effort de réconciliation, car cela n'est souvent pas facile et demande un réel effort.  De plus, pour porter des fruits, cet effort doit avoir deux qualités.  Il doit être sincère, et non pas simple concession à des conventions, et il doit être mutuel.  En effet, s'il n'est pas mutuel, si sincère soit-il, il ne portera pas de fruits concrets.

 

            La phrase suivante : "Aussi, pour écarter de la communauté les épines de scandale, les frères ne réservent pas un temps pour la colère, mais rentrent en paix dès que possible après un désaccord avec autrui" est composée de trois citations de la Règle de saint Benoît.  On y retrouve tout d'abord le 23ème Instruments des bonnes oeuvres : "Ne pas réserver un temps pour la colère", ce qui consisterait non seulement à laisser naître en soi des sentiments de colère -- ce qui se produit parfois contre notre volonté -- mais à prévoir comment transformer en actions ou en attitudes cette colère.  Et puis il y a le 73ème Instrument, qui demande de "rentrer en paix avec son contradicteur avant le coucher du soleil" afin de pouvoir, sans fausseté, s'endormir dans la paix du Seigneur.  Enfin il y a la citation de RB 13,12 qui demande à l'abbé de réciter une fois par jour à haute voix, durant l'Office, le Pater Noster, "à cause des épines de disputes (ou de scandale) qui se produisent souvent" dans le monastère.

 

            ST 15.1.A

Dans un esprit évangélique les frères s'entraident par une correction faite avec humilité et discernement. La communauté détermine les manières d'agir qui lui conviennent en ce domaine.

 

            À cette première partie de la Constitution est attaché un Statut qui traite d'un sujet connexe, la correction fraternelle, laquelle est une obligation évangélique.  Si le "chapitre des coulpes" comme nous l'avons connu dans le passé ne correspond plus aux sensibilités spirituelles et psychologiques de nos jours, la correction fraternelle demeure une obligation.  Le statut 15.1.A, reprenant ce qui était déjà dit dans le SUP (Statut sur l'Unité et le Pluralisme du Chap. Gén. de 1969), énonce tout d'abord l'obligation évangélique d'une telle correction -- qui doit être faite avec humilité et discernement -- et laisse ensuite à chaque communauté le soin d'en déterminer les modalités.  Il va sans dire qu'il faut respecter les étapes prévues par l'Évangile même : "Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le, seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.   S’il n’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres, pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins. Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté."  Il semble que la formule traditionnelle du "chapitre des coulpes", au moins dans la forme pratiquée au cours des derniers siècles, court-circuitait ce processus, oubliant la plupart du temps la première étape et souvent la deuxième.  Si les communautés ont beaucoup de difficulté de nos jours à trouver une forme communautaire de correction fraternelle, ce n'est peut-être pas un si grand mal, si cela permet de redécouvrir toute l'importance de la première et de la deuxième étape du processus décrit par Jésus (c.à.d. d'abord la correction de personne à personne, puis celle en présence de quelques témoins).

 

2

Les frères confessent chaque jour à Dieu dans la prière leurs péchés et s'approchent fréquemment du sacrement de réconciliation.

 

            La deuxième partie de la Constitution 15 parle de la réconciliation avec Dieu et spécialement de la réconciliation dans le sacrement de la réconciliation.  Le premier membre de la phrase est une citation du 57ème Instrument des bonnes oeuvres qui recommande au moine de "confesser chaque jour à Dieu dans la prière avec larmes et gémissements, ses fautes passées"; et le deuxième membre de la phrase mentionne la confession sacramentelle.  On reprend ici le Canon 664 qui dit que "les religieux... feront... chaque jour l'examen de leur conscience et s'approcheront fréquemment du sacrement de pénitence".  La "fréquence" est laissée au jugement et à la conscience de chacun.  Il y a toute une gamme de possibilités entre une confession quotidienne et une confession annuelle !  -- mais elle doit quand même être assez fréquente pour que le mot "fréquente" ne perde pas son sens.

 

            Il est évident que les religieux se confessent moins souvent de nos jours que par le passé, et cela n'indique pas nécessairement une négligence.  Nous sommes sans doute, depuis le renouveau liturgique, plus sensibles à tous les éléments de confession publique de nos péchés qui sont intégrés dans notre liturgie quotidienne, à commencer par le rite pénitentiel au début de chaque Eucharistie, mais sans oublier de nombreux autres éléments pénitentiels dans chaque Office.

 

            ST 15.2.A

Selon l'opportunité, l'abbé peut prévoir une célébration pénitentielle communautaire

 

            Enfin, un Statut attaché à cette seconde partie de la Constitution dit que l'abbé, selon l'opportunité, peut prévoir une célébration pénitentielle communautaire.  J'avoue que, compte tenu de ce que je viens de dire sur les nombreux éléments pénitentiels de notre liturgie, je ne vois pas trop l'opportunité d'une telle célébration dans notre contexte communautaire monastique.

 

Armand VEILLEUX