16 février 2003

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Unité et pluriformité de la communauté (Cst. 14)

 

 

C. 14               Unité et pluriformité de la communauté

 

1

La communauté forme un seul corps dans le Christ; aussi chacun des frères, partageant avec les autres les dons spirituels qu'il a reçus de la grâce multiforme de Dieu, cherche-t-il avant tout à promouvoir la construction de la communauté fraternelle.

 

2

L'équilibre fondamental de la vie cistercienne entre l'Œuvre de Dieu, la prière et la lectio divina, ainsi que le travail manuel, est déterminé selon le caractère, la formation et le progrès de la vie de chacun. L'abbé doit discerner et mesurer toute chose en sorte que chaque frère puisse croître dans la vocation cistercienne.

 

 

            Cette constitution est l'une sur laquelle nous avons beaucoup travaillé, et le texte actuel a été précédé de très nombreuses versions provisoires.  Le contexte était fort complexe.  L'introduction du pluralisme dans l'Ordre, au niveau des observances, au Chapitre Général de 1969 concernait en premier lieu la possibilité d'une certaine diversité d'une communauté à l'autre et d'une culture à l'autre.  Cependant cela souleva immédiatement la question de la possibilité de reconnaître un certain pluralisme au sein même de chaque communauté. Cette exigence d'un certain pluralisme intracommunautaire était renforcée par le fait que, depuis quelques années nos communautés étaient composées de moines ayant fait profession comme choristes et ayant toujours célébré l'ensemble de l'Office Divin, et de moines qui avaient fait profession comme frères convers, qui avaient connu durant plusieurs années l'Office simplifié des frères convers et qui n'étaient pas tous à l'aise avec la célébration intégrale de l'Office canonique au chœur.  À cela s'ajoutait le fait que nous étions en pleine période de renouveau liturgique post-conciliaire avec une "loi-cadre" qui permettait une grande variété d'une communauté à l'autre dans la façon de célébrer la liturgie.  C'est tout cela que nous étions soucieux de respecter.

 

            La notion de pluralisme ou de pluriformité présuppose celle d'unité.  S'il n'y a pas une unité fondamentale, il n'y a pas une pluralité de formes mais simplement des réalités diverses juxtaposées.  C'est lorsqu'il y a une réelle unité fondamentale, que cette réalité une peut prendre différentes formes.  C'est pourquoi cette Constitution comporte deux paragraphes.  Le premier insiste sur l'unité fondamentale de la communauté et le deuxième mentionne la pluralité des formes que peut comprendre cette unité.

 

            La première phrase exprime tout simplement ce qui a déjà été dit dans les constitutions précédentes : "La communauté forme un seul corps dans le Christ".  Elle n'est pas simple réunions de personnes qui se seraient choisies mutuellement.  Nous savons que nous avons été appelés par le Christ, chacun tel que Dieu nous a faits, avec nos dons spirituels divers.  Et il est dit que ces dons spirituels divers proviennent de la grâce multiforme de Dieu et en sont une expression.  La pluriformité de la communauté n'est donc pas une concession à la faiblesse humaine -- comme on est parfois porté à le penser -- mais une expression de la multiformité de la grâce divine. 

 

            Par ailleurs, on affirme tout de suite, dans ce premier paragraphes, que la communauté n'est pas simplement le lieu où chacun pourrait, d'une façon égoïste et même narcissique, s'épanouir lui-même en développant ses donc personnels sans référence à la communauté.  Nous sommes les dépositaires des dons spirituels qui nous ont été confiés, mais ces dons sont destinés à toute la communauté.  C'est pourquoi ils doivent être partagé.  Il y a évidemment une joie à les partager, mais c'est joie n'est pas le but du partage.  Le but de ce partage est de promouvoir la construction de la communion fraternelle -- laquelle est en effet une construction jamais achevée.

 

            Le deuxième paragraphe passe à des situations bien concrètes.  L'une des caractéristiques principale de la vie cistercienne est un équilibre bien particulier entre les grands éléments de la vie commune : l'Oeuvre de Dieu (ou Office Divin, appelé maintenant Prière des Heures), la prière privée, la lectio divina et le travail manuel.  Il doit y avoir dans le rythme de vie de la communauté un véritable équilibre entre ces divers éléments.  Par ailleurs, à l'intérieur de cet équilibre communautaire, l'équilibre concret entre ces divers éléments peut varier d'une personne à l'autre, et même d'une période de sa vie à l'autre pour la même personne.  Notre Ordre avait explicitement accepté ce pluralisme intracommunautaire en supprimant la différence de catégories entre convers et choristes tout en respectant les vocations individuelles.

 

            En certaines communautés, particulièrement là où l'Office Divin est célébré de façon élaborée et solennelle, il y a des moines, surtout d'anciens frères convers, qui ont besoin d'un rythme de prière différent, et demandent la permission d'être dispensés de certains Offices communs pour consacrer plus de temps à la prière personnelle.  En ce qui concerne le travail, nos Constitutions prévoient de quatre à six heures de travail par jour (en plus de diverses tâches d'entretien).  Mais certaines personnes qui trouvent facilement Dieu dans le travail peuvent travailler plus, ou même ont besoin de travail plus pour leur propre équilibre.  Certains ont besoin de se nourrir spirituellement par plusieurs heures de lectio chaque jours, alors que d'autres trouvent dans une demi-heure de lectio la substance qui les nourrira durant toute la journée. 

 

            Et puis, il y a tous les services communautaires.  Dans une communauté d'une certaine dimension il est pratiquement impossible que tous les membres soient à tous les Offices et à tous les repas, pour la simple raison qu'il y a toujours quelques services communautaires à remplir à ces moments-là. 

 

            Si une certaine pluriformité est inévitable et même positive, notre constitution insiste sur le fait qu'elle ne doit pas être l'effet de la négligence, de la paresse ou de la fantaisie, mais doit être déterminée (le mot est à remarquer) selon le caractère de chacun, sa formation et le progrès de sa vie. 

 

            Puisque nous vivons en communauté il revient à celui qui remplit la tâche de l'abbé de faire ce discernement avec chaque frère, pour la bonne raison qu'il s'agit non seulement de l'équilibre de chacun, mais de l'équilibre communautaire. Ainsi, par suite des exigences communautaires du moment l'abbé pourra demander à un frère d'assumer une responsabilité qui lui laisse moins de temps pour la lectio et la prière personnelle qu'il ne voudrait.  Ou bien il pourra demander à un frère de renoncer à un attrait pour une vie plus érémitique parce que la communauté a besoin de sa présence et de ses services.  Il s'agit toujours de pondérer le bien de chaque frère et celui de l'ensemble de la communauté. 

 

            La dernière phrase est importante.  Si les Constitutions et l'abbé permettent à un frère dans certaines circonstances d'adopter un équilibre de vie un peu différent, ce ne peut pas être pour le laisser devenir de moins en moins cistercien et de moins en moins cénobitique, mais pour lui permettre de croître et devenir toujours plus lui-même, dans la vocation cistercienne. 

 

            Finalement, cette pluriformité au sein de la communauté est une chose extrêmement exigeante et non une solution de facilité et encore moins une concession à la faiblesse humaine.