12 janvier 2003

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

L'obéissance (Cst. 11)

 

 

C. 11                      L'obéissance

 

Par le vœu d'obéissance, le frère, aspirant à vivre sous une règle et un abbé, promet d'accomplir tout ce que les supérieurs légitimes ordonneront suivant les présentes Constitutions. Renonçant ainsi à sa volonté propre, il suit l'exemple du Christ obéissant jusqu'à la mort et s'engage dans l'école du service du Seigneur.

 

            Le moine, au moment de s'engager dans la Communauté, selon la Règle de saint Benoît, fait profession de stabilité, de conversion et d'obéissance. Ce "vœu" (pour utiliser le langage moderne) fait l'objet de notre Constitution nº 11.  Il n'était vraiment pas question, en cinq ou six lignes, de donner une théologie complète de cette dimension importante de la vie monastique.  Il sera intéressant de voir quels aspects nous avons retenus comme essentiels, au moment où nous avons rédigé nos Constitutions.

 

            Il n'y a peut-être pas d'autre aspect de la vie ascétique qui soit plus conditionné dans son exercice par les facteurs socioculturels de chaque époque particulière.  Même à l'intérieur d'une même tradition spirituelle, l'exercice de l'autorité et de l'obéissance -- les deux étant évidemment interdépendantes -- varie beaucoup d'une période de l'histoire à l'autre.  L'exercice de l'autorité par l'abbé au temps de Benoît doit plusieurs de ses éléments à la tradition du paterfamilias de la civilisation romaine;  l'autorité des abbés du Moyen-Âge sera assez semblable à celle des seigneurs féodaux et les abbés de l'époque de la restauration monastique de la fin du 19ème siècle seront influencés par la nostalgie monarchique de l'époque.  Le type d'obéissance attendu des moines à chacune de ces époques variait en conséquence.

 

            Cependant, au delà de ces modalités dans l'exercice soit de l'autorité, soit de l'obéissance, il y a une réalité beaucoup plus importante bien énoncée ici dans notre Constitution, qui cite d'ailleurs la Règle de Benoît, c'est l'exemple que le moine est appelé à suivre, c'est celui du Christ lui-même, qui s'est fait obéissant.

 

            De nouveau nous trouvons dans cette Cst les trois éléments de la vie cénobitique :  la communauté (implicitement mentionnée dans le titre de "frère" donné au moine), la règle et l'abbé.  La règle de vie que le moine a choisi de suivre comme interprétation de l'Évangile doit être sans cesse interprétée et appliquée quotidiennement par l'abbé aux situations concrètes de la communauté qui lui a été confiée.  La Règle elle-même prévoit qu'il doit se faire aider dans son ministère de la communauté par plusieurs personnes.  Notre Cst. nous rappelle donc que l'obéissance que l'on doit à la Règle et à l'abbé, on la doit aussi à tous les "supérieurs légitimes", c'est-à-dire à tous ceux qui, soit de par leur fonction, soit en vertu d'une mission ponctuelle et transitoire, assistent l'abbé dans son service de la communauté.  Ainsi, je dois non seulement au prieur et au cellérier la même obéissance que je dois à la Règle et à l'abbé, mais également à quiconque sous la direction duquel on m'a demandé de travailler pour une tâche particulière.  Mais cela ne donne à personne une autorité absolue.  L'exercice de cette autorité, pour être valide, doit s'exercer à l'intérieur du cadre défini par les Constitutions.

 

            Une expression de cette Constitution peut choquer nos oreilles modernes : "renonçant à sa volonté propre..."  Peut-on renoncer à sa volonté?  Peut-on renoncer à vouloir?  --  Dans le langage chrétien traditionnel, l'expression "volonté propre" a une signification bien précise.  Il s'agit de la volonté qui n'est pas conforme à celle de Dieu.  L'obéissance, en effet, dans sa signification la plus profonde, consiste dans l'union des volontés -- consiste à vouloir ce que l'autre veut.  C'est pourquoi la mention de cette renonciation est liée à l'exemple du Christ.  En effet, lorsque le Christ nous dit qu'il fait toujours la volonté de son Père, cela ne signifie pas qu'il reçoit sans cesse de son Père des ordres qu'il exécute;  cela veut plutôt dire qu'il n'a qu'une volonté, qu'un vouloir avec son Père.  Ils sont si profondément unis qu'ils désirent la même chose.

 

            Si nous sommes profondément unis à Dieu, nous ne serons pas des gens sans désir et sans vouloir.  Au contraire, nous serons des êtres de désir;  mais notre volonté ne nous sera pas "propre";  nous la partagerons avec Dieu.  Nous voudrons sans cesse ce qu'Il veut.  C'est pourquoi l'obéissance est toujours en définitive l'obéissance à Dieu, le seul auquel nous puissions conformer totalement notre vouloir.  Les autorités humaines sont de simples médiations pour découvrir la volonté de Dieu.

 

            Pour cette raison, en relisant le texte de notre Cst. 11, je ne le trouve pas tout à fait satisfaisant.  L'exercice de l'obéissance au sein de la communauté y est trop présenté comme étant d'abord, sinon exclusivement, l'accomplissement d'ordres reçus d'un supérieur légitime.  Avant cela -- et beaucoup plus que cela -- l'obéissance est la recherche en commun, sous la conduite d'un supérieur, de la volonté de Dieu.

 

            La conformité de notre vouloir au vouloir de Dieu, dans l'amour, est une forme de culte, un service de la divine majesté.  C'est pourquoi notre Cst. mentionne en conclusion que celui qui s'engage dans cette voie d'obéissance s'engage dans l'école du service du Seigneur.  

 

Armand VEILLEUX