5 janvier 2003

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

La conversion de vie (Cst. 10)

 

            Dans la théologie traditionnelle sur la vie religieuse, celle-ci comporte nécessairement les trois vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté (ou célibat),  auxquels certains instituts ajoutent parfois d'autres vœux.   La profession religieuse dans la tradition monastique -- où nous préférons d'ailleurs parler de "consécration" a conservé la formule de la Règle de saint Benoît qui mentionne simplement la stabilité, la conversion de vie et l'obéissance. 

 

            La Constitution 10 traite de la "Conversion de vie" et reste dans la ligne de l'interprétation traditionnelle des canonistes et des théologiens selon qui les "vœux" de pauvreté et d'obéissance sont contenus implicitement dans cette professio de la conversion de vie.

 

            Durant les premiers siècles du monachisme, il n'était pas question de "profession monastique" et encore moins de "vœux".  Lorsque quelqu'un se "convertissait", c'est-à-dire changeait de mode de vie, il venait au désert ou à la communauté monastique et se mettait tout simplement à vivre sa nouvelle forme de vie chrétienne.  Lorsque des textes anciens, en particulier les textes pachômiens parlent de la fidélité que les moines doivent à leurs "promesses", il s'agit des promesses du baptême.  On vient en effet au monastère pour vivre pleinement les engagements de son baptême.  Et même, dans le cas du cénobitisme pachômien, beaucoup, beaucoup venaient au monastère comme catéchumènes, si bien que l'entrée dans la vie monastique coïncidait avec l'entrée dans la vie chrétienne.  On sait comment, dans les monastères pachômiens il y avait chaque année à Pâques, le baptême des moines catéchumènes.

 

            Assez tôt apparut une certaine promesse au moment de l'entrée au monastère ou un peu après, mais c'était alors simplement l'engagement à vivre selon la forme de vie décrite dans la règle de la communauté, ce qui correspond assez bien à la promesse de "conversion de vie" (conversatio morum) dont parle saint Benoît.  Il va de soi que cette forme de vie incluait le célibat et une ascèse dont ce que nous appelons maintenant "pauvreté" était une expression.  Avec Benoît, qui, le premier, décrit clairement les trois piliers de la vie cénobitique, apparaissent les trois engagements bien distincts de la stabilité, la conversion de vie et l'obéissance. Ce n'est que beaucoup plus tard que les canonistes et les théologiens développeront la notion de "vœu".

 

            Voyons maintenant ce que dit notre Cst 10 sur la conversion de vie.

 

C. 10                La conversion de vie

 

Par le vœu de conversion de vie, le frère, cherchant Dieu dans la simplicité de son cœur, sous la conduite de l'Évangile, s'engage à la discipline cistercienne. Ne se réservant aucun bien, pas même la disposition de son propre corps, il renonce à la capacité d'acquérir et de posséder et il professe la continence parfaite dans le célibat pour le royaume des cieux.

 

           

            Notons tout d'abord que nous parlons maintenant de "voeu", notre engagement ou notre "professio" ayant nécessairement aujourd'hui la même dimension que le Code de droit canonique donne aux vœux de toutes les communautés religieuses. 

 

            Au chapitre 58 de sa Règle Benoît prévoit qu'avant d'admettre quelqu'un à s'engager dans la vie monastique, avant même de commencer à le former en lui lisant trois fois la Règle, il faut s'assurer s'il cherche Dieu et s'il Le cherche vraiment.  Cette dimension de la recherche sincère (si revera Deum quaerit - RB 58,7) est exprimée ici par l'expression "dans la simplicité de son cœur" où le mot "simplicité" exprime cette droiture, et cette pureté d'intention.  L'expression "dans la simplicité de son coeur" est une citation du premier verset du Livre de la Sagesse "avec simplicité de coeur (in simplicitate cordis) cherchez-le" (Sag. 1,1).  On retrouve la même formule dans la belle prière de David sur son lit de mort : "Dans la simplicité de mon coeur je t'ai tout offert (in simplicitate cordis laetus tibi obtuli universa). (1 Ch 29,17).

 

            "Sous la conduite de l'Évangile" est une citation du prologue de la Règle (Prol. 21) où Benoît dit que le Seigneur nous a indiqué le chemin de vie et nous invite à nous y engager "sous la conduite de l'Évangile" (per ducatum Evangelii). 

 

            Ce à quoi on s'engage par le "voeu" de conversion de vie, ce n'est pas simplement de se "convertir" de ses fautes ou de se convertir à une meilleure vie, selon le sens commun de ce mot, mais d'adopter une nouvelle discipline de vie, qui, dans notre cas est la discipline cistercienne.("s'engage à la discipline cistercienne").

 

            La deuxième (et dernière) phrase de cette brève Constitution exprime que les deux voeux de "pauvreté" et de "chasteté" sont inclus dans ce voeu de conversion de vie.  Ils sont même reliés l'un à l'autre comme ils le sont dans la Règle de saint Benoît.  La pauvreté, comme toutes les autres formes d'ascèse, est pour nous une conséquence logique du dépouillement radical du célibat par lequel on désire appartenir totalement à Dieu seul, de sorte qu'on ne s'appartient plus à soi-même, et qu'il devient donc illogique de posséder quoi que ce soit.

 

            On ne s'engage pas simplement à la chasteté, qui est une exigence pour tous les chrétiens (qui doivent la vivre de diverses façons, soit dans le mariage, soit dans le célibat), mais au célibat.  Et pas à n'importe quel célibat, car celui-ci, qui est une forme "normale" quoique non la plus habituelle d'existence humaine, peut être choisi pour diverses raisons.  On s'engage à la continence parfaite dans le célibat pour le royaume des cieux.

 

            Cette expression "pour le royaume des cieux", qui est de Jésus lui-même (il y en a qui choisissent délibérément le célibat "pour le royaume des cieux") est ce qui donne son sens non seulement à notre promesse de conversion de vie, mais à tout ce qu'elle implique.