29 décembre 2002
Chapitre à la Communauté de
Scourmont
La stabilité dans le lieu (Cst.
9)
Après la Cst. 8, que j'ai
commentée la semaine dernière, et qui traite de la "consécration monastique"
en général, viennent trois constitutions qui traitent des trois promesses
que, selon la Règle de Benoît, prononce solennellement celui qui s'engage
dans la communauté : la stabilité, la conversion de vie et l'obéissance (dans
l'ordre où elles sont mentionnées par Benoît). Arrêtons-nous pour aujourd'hui à la première,
sans toutefois redire tout ce que j'ai déjà dit sur ce point en commentant
la Règle de saint Benoît.
C. 9 La stabilité
dans le lieu
Par le vœu de stabilité dans sa communauté,
le frère, confiant en la Providence de Dieu qui l'a appelé en ce lieu et dans
ce groupe de frères, s'engage à employer là, avec constance, les instruments
de l'art spirituel.
La stabilité est, pour
Benoît, une caractéristique de la vie cénobitique, qui la distingue de la
vie des gyrovagues qui sont "toujours errants et jamais stables",
"séjournant tous les trois ou quatre jours dans des cellules différentes"
et surtout "esclaves de leurs volontés propres".
Cette "stabilité"
est si importante pour Benoît, qu'il exige que le novice la promette, avant
même que ne commence sa formation. En effet, selon RB 58, après avoir fait attendre le postulant quelque
temps à la porte, on le confie à un ancien apte à gagner les âmes, qui doit
discerner ses intentions et ses aptitudes et l'avertir de toutes les voies
dures et âpres par lesquelles on va à Dieu.
Alors, s'il promet de persévérer dans sa stabilité, on lui lira
la Règle une première fois. Enfin
après la troisième lecture de la Règle et tous les discernements nécessaires,
il promettra publiquement, dans l'oratoire, en présence de tous sa stabilité,
la conversion de vie et l'obéissance. À
remarquer que Benoît, dans chacune de ces citations, ajoute l'adjectif possessif
au mot "stabilité". Ce que
le novice promet c'est "sa" propre stabilité, c'est-à-dire une qualité
d'être qui doit lui être propre.
Dans le texte de notre
Constitution 9, l'adjectif possessif est déplacé. On y parle du vœu de stabilité du frère dans "sa communauté".
On peut penser que cette expression est moins heureuse.
On y perçoit une sensibilité différente de celle de Benoît, caractéristique
des années '80 du 20ème siècle, où le sens d'appartenance
était devenu très vif. Il était important
de sentir qu'on appartenait à "sa" communauté (quand les rôles n'étaient
pas inversés et que l'on ne voulait pas posséder -- sinon utiliser -- "sa"
communauté).
Benoît exigera la même
promesse de stabilité de la part des prêtres voulant être reçus en communauté
(RB 60,9) ou des moines venant d'autres communautés (RB 61,5).
Cependant le texte de
la Règle qui est cité, ou incorporé, dans le texte de la Cst. 9, c'est la
conclusion du chapitre 7 de la Règle sur les Instruments de l'art spirituel
et où Benoît dit que l'atelier où l'on pratique cet art et où l'on utilise
ces instruments c'est "la clôture du monastère et la stabilité dans la
communauté". Il est intéressant
de voir comment Benoît distingue ici le fait de vivre dans le lieu géographique
du cloître de la "stabilité dans la communauté", qui est une forme
de relation avec la communauté et une qualité de relation.
Par son vœu de stabilité
le frère s'engage (en latin se obligat) non seulement à utiliser ces
instruments de l'art spirituel et à les utiliser dans ce lieu et dans ce groupe
de frères, mais il promet de le faire avec constance. Le faire une
fois ou le faire de temps à autre est facile. Ce qui est exigent et fructueux c'est de le
faire constamment (Benoît disait diligenter). On retrouve ici la notion de voie monastique comme forme
particulière de vie chrétienne. Les
valeurs essentielles de la vie monastique sont les valeurs essentielles de
toute vie chrétienne et le moine n'est pas un super-chrétien. Par ailleurs il ne suffit pas de mener une
bonne vie chrétienne pour être moine. Le
moine est celui qui a choisi de réaliser les exigences de la vie chrétienne
en utilisant un certain nombre d'instruments précis de l'art spirituel. Et il s'engage (s'oblige lui-même, dit notre
constitution) à les utiliser et, puisqu'il est cénobite, à les utiliser dans
une communauté précise.
Pour réaliser cela d'une
façon constante (stable) tout au long de sa vie, le moine ne peut compter
sur sa force de volonté et son courage personnel. Il doit mettre sa confiance en Dieu dont il croît que c'est la Providence
qui l'a amené dans ce lieu et cette communauté.
Puissions-nous persévérer
tous ensemble dans cette stabilité jusqu'à l'an prochain... qui nous arrivera
dans trois jours... et de nombreuses années encore.
Armand VEILLEUX