22 décembre 2002
Chapitre à la Communauté de
Scourmont
La consécration monastique (Cst.
7 et 8)
Le premier chapitre de
la première partie des Constitutions (après les quelques Constitutions d'introduction
que j'ai déjà commentées), s'intitule en latin De conversatione Cisterciensi,
ce que notre traduction française a rendu par "La voie cistercienne".
Cette traduction rend assez bien le sens, car conversatio, ici
comme dans la Règle, désigne le style ou mode de vie que l'on adopte lorsqu'on
entre au monastère.
C. 7
L'observance régulière
La conversatio
dans l'Ordre Cistercien de la Stricte Observance est une vie consacrée à Dieu,
qui trouve son expression dans la communion fraternelle, dans la solitude
et le silence, dans la prière et le travail et dans une discipline de vie.
Par une secrète fécondité apostolique, elle fait grandir le Corps Mystique
du Christ.
La Constitutions 7 n'est
en quelque sorte qu'une table des matières, énumérant les principaux aspects
de la conversatio cistercienne, qui feront tous l'objet d'une ou de
plusieurs Constitutions dans ce chapitre.
On remarquera cependant quelques
éléments de cette brève Cst., et tout d'abord son titre: De regulari observantia (de l'observance
régulière). L'adjectif "régulière"
se réfère évidemment à la Règle, puisque en tant que cénobites nous sommes
des moines vivant sous une Règle. Et le mot "observance" venant du
latin ob-servare signifie beaucoup plus que la simple application de
règlements. Il contient l'idée d'une
conservation, d'une préservation de la Règle, comme d'une chose précieuse.
Dans cette Constitution
nous pouvons remarquer aussi l'ordre des éléments, indiquant déjà la hiérarchie
des valeurs et les liens entre celles-ci.
Notre vie est tout d'abord une vie de consécration à Dieu. Cette consécration, qui soit s'exprimer dans
la vie concrète, trouve son expression d'abord dans la communion fraternelle,
mais aussi dans les autres éléments vécus en commun : la solitude et
le silence, la prière et le travail et la discipline
de vie. Elle possède aussi une dimension apostolique.
Ce seront les principales Constitutions de ce chapitre.
C. 8 La consécration
monastique
Par la profession
monastique (cf. can. 654 du CIC), le frère est consacré à Dieu et agrégé à
la communauté qui l'accueille. En même temps, la consécration qu'il a reçue
au baptême et à la confirmation est rénovée et vivifiée. Le frère s'engage
à une vraie conversion de vie, en persévérant dans la stabilité et en obéissant
joyeusement jusqu'à la mort.
Dans la Constitution 8,
on alterne entre deux catégories, celle de "consécration", qui est
plus proprement monastique et celle de "profession" utilisée par
le Droit universel. La première partie
de cette Constitution est d'ailleurs une citation du Code de Droit Canon (canon
654) qui disait que, par la profession, les religieux se consacrent à Dieu
et s'agrègent à l'institut où ils font profession. Pour nous cette agrégation est faite à la communauté qui nous accueille.
Cette consécration a une
double dimension. Elle n'est pas simplement
un acte que nous posons; elle est
aussi -- et d'abord -- une grâce que nous recevons. Dieu nous a consacrés à Lui -- Il nous a mis
à part pour Lui -- avant même que nous nous consacrions nous-mêmes à son service.
C'est pourquoi notre texte affirme que notre profession monastique
renouvelle et vivifie la consécration reçue -- le mot est à noter --
au baptême et à la confirmation. Ceci reprend une idée déjà exprimée dans le
document conciliaire Perfectae caritatis (nº 5)[1] et repris en divers
endroits par Jean-Paul II (par exemple dans Redemptionis donum, nº 7)[2]. Cette notion d'un renouvellement et d'un renforcement
de la consécration reçue au baptême est théologiquement beaucoup plus juste
que celle de profession monastique comme "second baptême", du moins
dans la compréhension moderne de cette expression. (En effet, la notion de
profession comme "second baptême" dans le monachisme ancien était
bien celle d'un renouvellement et d'un renforcement plutôt que celle d'un
"nouveau" baptême s'ajoutant au premier).
Quant au mot "profession",
il implique l'idée d'une déclaration ou d'une proclamation publique, par laquelle
nous nous engageons publiquement, à la face de tout le peuple de Dieu, tout
d'abord à une conversion de vie, ensuite à persévérer dans la stabilité et
une joyeuse obéissance. Toutes les valeurs essentielles de la vie monastique
peuvent être vécues dans le monde. Celui
ou celle qui s'engage dans une communauté monastique par la profession professe
ou proclame publiquement qu'il veut les vivre et s'engage publiquement
à les vivre
Pour bien comprendre le
sens de la consécration, il faut réfléchir un peu sur la notion de
sacré. Contrairement aux mythologies
anciennes pour lesquelles il y avait un monde du sacré séparé du monde profane
et une tension ou même lutte entre ces deux mondes, dans la théologie de l'Ancien
Testament et encore plus du Nouveau, tout est profane, car toute la création
a été mise à la disposition de l'être humain. Rien n'est sacré en soi, mais tout peut devenir
sacré lorsque utilisé pour exprimé un culte à Dieu. Dans un certain sens tout être humain est sacré,
puisqu'il est créé à l'image de Dieu et expression de sa gloire. Tout baptisé est un "consacré" car
choisi par Dieu pour être fils ou fille dans le Fils et être un témoin de
l'Évangile. Cette consécration du
baptême acquiert une forme spéciale d'expression, lorsqu'on est appelé par
vocation à la vivre dans la vie monastique.
Plus qu'un honneur cette
consécration est un engagement, comme le dit la dernière partie de la Constitution:
"Le frère s'engage..." .
Ce à quoi il s'engage sont les éléments de la conversatio cistercienne
dont il sera question dans les Constitutions suivantes.
Armand VEILLEUX
[1] "Ils ont dédié entièrement leur vie à son service; et ceci constitue précisément une consécration particulière qui s'enracine intimement dans la consécration du baptême et l'exprime avec plus de plénitude" (PC 5)
[2] La vocation vous a conduits à la profession religieuse grâce à laquelle vous avez été consacrés à Dieu par le ministère de l'Église et, en même temps, incorporés dans votre famille religieuse" (Jean Pau II, Redemptionis donum, 25 mars 1984, n. 7)