8 décembre 2002
Chapitre à la Communauté de
Scourmont
La communauté locale (Cst. 5)
Nous avons déjà commenté
le Prologue (historique) des Constitutions, puis la Première Partie, très
brève (Cst. 1-4), qui était intitulée « Le Patrimoine cistercien ».
Vient ensuite la deuxième partie, qui est de beaucoup la plus longue
(Cst. 5-70) qui s’intitule : La Maison de Dieu ou le monastère.
La Cst 5 (La communauté
locale) est très brève :
Rassemblés par l’appel divin, les frères (sœurs) constituent une église
ou communauté monastique, qui est la cellule fondamentale de l’Ordre Cistercien
Une communauté est composée
de frères (ou de sœurs) qui se trouvent réunis parce qu’ils ont tout été appelés
par Dieu et rassemblés par Lui. Venant
en général d’horizons différents, représentant aussi tous les groupes d’âge,
ayant facilement des mentalités et des goûts, ou encore des sensibilités ecclésiales
ou politiques assez différents, la seule chose qu’ils ont réellement en commun
est d’avoir tous été appelés par Dieu et réunis par Lui. On peut évidemment
citer ici la phrase de saint Benoît dans le Prologue de sa Règle (Prol. 19) :
« Quoi de plus doux que cette voix du Seigneur qui nous invite, frères
bien-aimés ? »
Conformément à la façon
de parler de nos Pères cisterciens du 12ème siècle, nous aimons
donner à nos « communautés monastiques »· le nom de « Églises
monastiques ». Ce que nous voulons
affirmer par là est que, dans une communauté monastique, se trouve réalisé
le mystère intégral de l’Église, qui est un mystère (ou sacrement) de communion.
Puisque nous sommes rassemblés au Nom du Christ, Il est au milieu de nous,
comme Il nous l’a promis et nous sommes son Église rassemblée en ce lieu déterminé.
La brève Cst. 5 affirme
ensuite que c’est la communauté locale qui est « la cellule fondamentale
de l’Ordre Cistercien ». Cette
affirmation qui semble anodine ou simplement une pieuse remarque est pleine
de conséquences spirituelles et juridiques.
Juridiquement, cela veut dire que nous ne sommes pas un Institut religieux
« centralisé », comme le sont les Instituts plus récents, où on
entre dans l’Institut, et où, selon les besoins de l’Institut on est assigné
à telle communauté ou à telle province.
Personne n’entre « dans
l’Ordre cistercien », pour choisir ensuite sa communauté ou être assigné
à une communauté. On entre plutôt
dans une communauté locale bien précise, où à moins d’accepter librement un
transfert dans une autre communauté -- en général pour des raison de services
à rendre --, on passera toute sa vie. En entrant dans une communauté, on acquiert
à l’égard de celle-ci et à l’égard des frères avec qui nous composons cette
communauté, des obligations et des droits. Strictement parlant, nous n’avons en tant que
personnes individuelles, aucune obligation à l’égard de l’Ordre, ni aucun
droit.
L’Ordre n’est pas constitué
d’un certain nombre (quelques milliers) de moines et de moniales.
Il est constitué d’un certain nombre de communautés qui forment, selon
la formule que j’aime utiliser, une « communauté de communautés ».
Dans la version approuvée
en 1990, cette Cst. était accompagnée d’un Statut qui décrivait les diverses
statuts que peut avoir la communauté locale (fondation / prieuré simple /
prieuré majeur / abbaye), en précisant les conditions requises pour accéder
à chacun de ces statuts. Étant donné
que, d’une part, ces conditions sont reprises dans le Statut des Fondations
et que, d’autre part, elles évoluent avec le changement des circonstances
dans lesquelles se réalisent les fondations, nous avons modifié la formulation
de ce Statut au Chapitre de 2002. La nouvelle formulation ne répète pas les critères pour qu’une communauté
soit admise à tel ou tel statut -- critères définis dans le Statut des Fondations
-- mais affirme plus clairement la nature propre à chaque catégorie.
ST 5.A. a.
La forme traditionnelle de la communauté est
d’être autonome en qualité d’abbaye. Pour être déclarée telle, elle doit remplir
les conditions définies par le Statut des Fondations (n. 15), de sorte que
l'observance monastique puisse être pleinement vécue selon la Règle de saint
Benoît, la tradition cistercienne et les présentes Constitutions;
b.
Si ces conditions ne sont pas remplies, mais
que la communauté répond aux critères définis par le statut des Fondations
(n. 15) pour être autonome, elle est, selon les cas, prieuré majeur ou prieuré simple. Le prieuré simple continue à jouir
en droit de l'aide de la maison fondatrice en personnel et en ressources matérielles.
c.
Une fondation fait partie de la maison fondatrice
et n’est pas autonome. Son supérieur demeure celui de la maison fondatrice.
Les conditions d’accès à l’autonomie, comme celles du passage d’un prieuré
simple au rang de prieuré majeur ou d’un prieuré majeur à celui d’abbaye sont
définies par le Statut des Fondations (cf. n. 15).
ST 5.B Sauf
mention contraire, ce qui est dit par la suite de la communauté locale vaut
à égalité de droit pour l'abbaye, le prieuré majeur, le prieuré simple et
la fondation
Une communauté selon la tradition bénédictine
est normalement une « abbaye », c’est-à-dire une communauté vivant
sous une règle et un abbé. En soi
le nombre importe peu. Une communauté
de trois moines peut être une abbaye aussi bien qu’une de trente ou de cent,
dans la mesure où elle vit sous une règle et un abbé. Mais comme, selon le Dialogues de saint Grégoire, Benoît envoyait
douze moines avec un abbé dans les monastères qu’il fondait, les Cisterciens
ont adopté la tradition d’envoyer au moins douze moines avec leur abbé en
fondation, et nous continuons de considérer que ce nombre est une condition
pour qu’une fondation soit érigée en abbaye.
Dans les réformes bénédictines
comme celle de Cluny, la coutume s’était prise d’avoir des « prieurés
dépendants », qui n’étaient pas des communautés autonomes mais un groupe
de moines vivant dans un endroit sous un prieur, mais dépendant toujours de
l’abbé de la communauté mère. C’est
sous cette influence que nous avons introduit dans notre Ordre les « prieurés »
qui ont cependant exactement la même autonomie juridique que les abbayes,
avec des prieurs qui ont dans leur communauté exactement la même autorité
que les abbés. Il est difficile de
trouver à cette distinction une autre explication que le fait que les abbés
étant devenus à une certaine époque de grands seigneurs, avec usage des « pontificaux »
on trouvait que cela ne convenait pas au supérieur d’un petit groupe.
Le fait que certains ont proposé ces dernières années que les abbayes
dont la situation est devenue « précaire » soient réduites au rang
de prieuré montre que cette notion de la « dignité abbatiale » est
encore, hélas, bien vivace. Une fois
qu’une abbaye existe, il est difficile d’imaginer quelque fondement aussi
bien pastoral que juridique pour la « réduire » à un autre rang.
(On ne peut évidemment pas parler, juridiquement, de la réduction d’une
abbaye ou d’un prieuré en maison annexe.
En réalité, dans une telle situation, il s’agit de la suppression d’une
communauté, suivie de l’établissement d’une maison annexe par une autre communauté,
qui décide d’y assigner les membres de la communauté supprimée.)
Durant une certaine période
avant la rédaction de nos Constitutions actuelles, nous avions deux types
de prieurés : des prieurés majeurs
et des prieurés semi-autonomes. Nous
avions inséré cette distinction dans nos Constitutions, mais le Saint-Siège
l’a refusé, nous rappelant qu’une communauté monastique est, de sa nature,
autonome et que la notion de semi-autonomie n’a pas de sens dans le droit.
On est autonome ou on ne l’est pas.
Nous avons quand même été « entêtés » et nous avons maintenu la
distinction entre « prieuré majeur » et « prieuré simple »,
le dernier étant tout aussi autonome juridiquement que le premier, mais conservant
un droit à recevoir de l’aide de la maison fondatrice (s’il en a une -- car
on peut devenir prieuré sans avoir été fondation ; par exemple par incorporation).
Quant à la « fondation »,
elle est mentionnée ici simplement pour souligner qu’on doit lui appliquer
les recommandations qui seront faites tout au long des Constitutions à la
« communauté locale ». En réalité tous les membres d’une fondation demeurent profès de
la maison d’où ils viennent (qui n’est pas nécessairement la maison fondatrice)
et la fondation demeure « partie de la maison fondatrice ». C’est pourquoi une fondation n’a pas à proprement
parler de Père Immédiat et la Visite Régulière d’une maison ayant des fondations
doit normalement s’étendre aux fondations.
Armand VEILLEUX