24 novembre 2002 – Chapitre
à la Communauté de Scourmont
Constitution nº 3 : L'esprit de l’Ordre (suite et fin)
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Toute l'organisation
du monastère tend à ce que les moines soient intimement unis au Christ, puisque
seul un attachement d'amour de chacun au Seigneur Jésus permettra aux grâces
spécifiques de la vocation cistercienne de s'épanouir. Les frères ne trouvent
leur contentement, en persévérant dans une vie simple, cachée et laborieuse,
que s'ils ne préfèrent absolument rien au Christ, qui les conduise tous ensemble
à la vie éternelle.
Je me suis attardé sur
la Constitution 3, parce qu’elle est très importante, présentant d’une façon
assez détaillée l’esprit de notre Ordre.
On y a vu que notre vie est essentiellement cénobitique, que le monastère
est une école du service du Seigneur, suivant une tradition très ancienne,
et qu’il est aussi une figure du mystère de l’Église. Tous ces beaux principes resteraient lettre morte, si la vie concrète
du monastère n’était pas ordonnée à conduire les moines à une union
intime avec le Christ. La traduction
française officielle de nos Constitution parle d’ « organisation »
du monastère. L’expression latine
« ordinatio » a une nuance différente.
Ce qui est souligné ici c’est précisément ce qui est propre au cénobitisme :
une règle de vie bien ordonnée, qui est porteuse d’une expérience de vie et
la transmet. C’est au niveau de la vie communautaire la
même chose que la discipline au niveau personnel. Il n’y a pas de formation personnelle sans
une certaine discipline de vie. Si
l’on fait une peu le lecture spirituelle lorsqu’on en a le goût, on va prier
un peu à l’église lorsqu’on en sent l’inspiration, on s’adonne à tel ou tel
travail lorsque cela nous plaît, on ne fera aucun progrès mais mènera simplement
une vie de dilettante. Déjà saint
Paul disait que le progrès dans la vie spirituelle requiert la discipline
tout comme dans la vie d’un sportif, qui ne fera pas de progrès sans une rigoureuse
discipline dans ses exercices quotidiens.
Pour Benoît, cette « organisation » ou cette ordinatio
de toute la vie de la communauté vers un but précis est tellement importante,
qu’il souligne, au chapitre sur le prieur, qu’elle dépend entièrement de l’abbé
-- à l’intérieur, bien évidemment, des normes fixées par la Règle.
Cela veut dire que ce
but, qui est que « les moines soient intimement unis au Christ »
doit tout conditionner. Cela doit
conditionner la façon dont on travaille, la façon dont on célèbre l’Office,
le mode de réception des hôtes, la façon de prendre des décisions communautaires,
etc.
Cette union intime avec
le Christ est une fin en elle-même, elle n’a pas besoin d’être justifiée par
autre chose. Et cependant il est bon
de mentionner ses effets. Deux effets
sont mentionnés. Le premier c’est
que sans cette union intime avec le Christ, les grâces spécifiques de la votation
cistercienne ne pourront pas s’épanouir.
En effet ces grâces spécifiques ne sont rien d’autre que des modalités
selon lesquelles se réalise cette union personne avec Dieu. Le deuxième effet est plus prosaïque, mais
non sans importance. La vie au sein
d’une communauté cistercienne, surtout si l’on n’a aucune responsabilité importante,
est une vie humble, simple, cachée et laborieuse. Ce n’est pas nécessairement une vie particulièrement
dure et difficile, mais elle peut devenir fort monotone et y persévérer
sans ennui et sans relâchement, jour après jour, n’est possible que si on
est mû par ce feu intérieur d’une relation personnelle d’amour avec le Christ.
Je me souviens d’avoir
connu il y a de nombreuses années, dans un autre monastère, un moine qui était
entré au monastère assez âgé, après avoir une vie très active et avoir rempli
des responsabilités importantes dans le clergé diocésain. Des confrères étaient venus le visiter et lui
demandait ce qu’il trouvait le plus difficile : se lever tôt ? travailler
manuellement ? garder le silence ? obéir ? etc… À chaque question
il répondait que non, ce n’était pas difficile. Et finalement il dit que ce qu’il trouvait
très difficile c’était de faire tout cela chaque jour, jour après jour.
Mais notre texte dit quelque
chose de plus. Si l’on vit cette union
avec le Christ, non seulement on pourra accepter toutes ces choses humbles
et laborieuses, mais on y trouvera sa joie, et même son « contentement »,
c’est-à-dire une joie pleine, comme celle que le Christ veut que nous ayons
tous. Et finalement, cette union au
Christ ne sera vrai et possible que si, comme nous le recommande Benoît, au
chapitre 72 de la Règle, nous ne préférons rien au Christ.
Et cette belle et longue
Cst 3 se termine par ce qui était la conclusion de la Règle avant l’addition
du chap. 73 : « Qu’il (i.e. le Christ) les conduise tous -- nous
conduise tous -- ensemble (ce mot est important) à la vie éternelle. Le propre de la vie cénobitique est en effet
non seulement de nous permettre à chacun de nous d’arriver à la vie éternelle,
mai de nous permettre d’y arriver ensemble, jouissant donc dès ici-bas d’une dimension très importante du bonheur
éternel.
Armand VEILLEUX