17 novembre 2002 –
Chapitre à la Communauté de Scourmont
Constitution nº 3 :
L'esprit de l’Ordre
(suite)
3
Les
moines suivent les traces de ceux qui dans les siècles passés ont été appelés
par Dieu au combat spirituel dans le désert. Citoyens des cieux, ils se rendent
étrangers aux manières du monde. Vivant dans la solitude et le silence ils
aspirent à cette paix intérieure dans laquelle la sagesse est engendrée. Ils
se renoncent à eux-mêmes pour suivre le Christ. Par l'humilité et l'obéissance
ils luttent contre l'orgueil et la révolte du péché. Dans la simplicité et
le travail ils sont en quête de la béatitude promise aux pauvres. Par leur
hospitalité empressée ils partagent la paix et l'espérance que donne le Christ,
avec ceux qui, comme eux, sont en marche.
4
Le
monastère est figure du mystère de l'Eglise. Rien n'y est préféré à la louange
de la gloire du Père et aucun effort n'est épargné pour que la vie commune
tout entière soit soumise à la loi suprême de l'Evangile, en sorte que la
communauté des frères ne manque d'aucun don spirituel. Les moines ont le souci
d'être en communion avec l'ensemble du peuple de Dieu; ils partagent son attente
et sa recherche de l'unité de tous les chrétiens. En effet, par la pratique
fidèle de leur vie monastique, comme par la secrète fécondité apostolique
qui leur est propre, ils servent le peuple de Dieu et l'humanité tout entière.
Chaque église de l'Ordre comme chacun des moines est dédié à la bienheureuse
Marie, Mère et Figure de l'Eglise dans l'ordre de la foi, de la charité et
de l'union parfaite avec le Christ.
5
Toute
l'organisation du monastère tend à ce que les moines soient intimement unis
au Christ, puisque seul un attachement d'amour de chacun au Seigneur Jésus
permettra aux grâces spécifiques de la vocation cistercienne de s'épanouir.
Les frères ne trouvent leur contentement, en persévérant dans une vie simple,
cachée et laborieuse, que s'ils ne préfèrent absolument rien au Christ, qui
les conduise tous ensemble à la vie éternelle.
Je poursuis le commentaire de la Constitution
nº 3, sur « L’esprit de l’Ordre », commencé il y a quelques semaines
avant mon visite à nos monastères d’Afrique.
Cette Constitution, assez longue, comporte 5 paragraphes dont nous
avons vu les deux premiers, et qui annoncent d’une façon schématique tous
les aspects importants de la vie cistercienne, qui seront repris ensuite,
chacun dans une Constitution différente. Pour bien percevoir toute la richesse
spirituelle de ce texte, qui semble une simple énumération, il faut se rendre
compte qu’il s’agit en fait d’une longue série de citations, soit de l’Écriture,
soit de la Règle de saint Benoît, soit de nos Pères cisterciens.
La première phrase (Les moines suivent
les traces de ceux qui dans les siècles passés ont été appelés par Dieu au
combat spirituel dans le désert) nous rappellent que nous faisons partie
d’une longue tradition, qui remonte à plusieurs siècles, que notre vie monastique
est un cheminement encore plus qu’un état, que ce cheminement nous mène au
désert où nous attend non seulement une paix bienheureuse, mais aussi un combat
spirituel, et qu’à ce combat spirituel nous avons été appelés par Dieu.
L’expression « citoyens des cieux »
est une citation de Ph 3,20 (« Notre cité à nous est dans les cieux »),
un texte longuement commenté par saint Bernard dans le De prœcepto et dispensation,
n. 59-60. Ce texte nous rappelle que,
si nous sommes en chemin, c’est parce que nous allons vers la patrie céleste
qui est notre véritable demeure. C’est pourquoi même si nous vivons dans le
monde, et en grande communion de charité avec nos frères et sœurs du monde,
nous devons, comme Benoît nous le rappelle dans son chapitre sur les instruments
des bonnes œuvres (4,20) nous « rendre étrangers aux manières de faire
du monde »
Tout le reste de ce paragraphe énonce
en quoi consiste vivre d’une manière digne de la patrie céleste vers laquelle
on tend. C’est une vie dans la solitude
et le silence. Cette solitude et ce
silence extérieur ont pour but de nous conduire à une paix intérieure,
celle d’un cœur qui n’est pas troublé par un grand nombre de distractions
et de désirs opposés. Et c’est dans
cette paix que peut être engendrée la sagesse.
Il y a derrière cette petite phrase une citation de Gilbert de Hoyland
dans son commentaire sur le Cantique (1,2, PL 184,13 : Nisi quieta
mente quaeri non potest delectatio sapientiae : « Seul l’esprit
en repos peut chercher la délectation de la sagesse »).
C’est ainsi qu’on répond au précepte
du Christ de se renoncer à soi-même pour le suivre -- précepte repris dans
les instruments des bonnes œuvres :
« se renoncer à soi-même pour suivre le Christ » (4,10). C’est ainsi que, par l’obéissance on lutte
contre la révolte du péché (cf. le début du Prologue de la Règle) et par l’humilité
on lutte contre l’orgueil (ch. 7 de la Règle).
Menant une vie simple et laborieuse
nous espérons que s’applique à nous la béatitude des pauvres. Enfin, en pratiquant l’hospitalité (une hospitalité
« empressée », dit le texte), nous nous efforçons de partager la
paix et l’espérance que donne le Christ avec nos frères et sœurs du monde
qui, comme nous, quoique de façon différente, sont en marche vers la même
patrie céleste.
Ce troisième paragraphe décrivait ce
que vit le moine ou la moniale dans son cheminement personnel. Le quatrième paragraphe (de la même Cst. 3),
énonce schématiquement les éléments de la vie communautaire, affirmant dès
le début que le monastère est une figure (une image, un sacrement) de l’Église. Rien ne doit y être préféré à la louange du
Père (cf, RB. « on ne préférera rien à l’œuvre de Dieu » et on fera
tous les efforts possibles pour que la vie commune soit tout entière soumise
à la loi suprême de l’Évangile. C’est
en effet pour vivre l’Évangile que nous sommes réunis et toute attitude qui
ne serait pas évangélique serait opposée à la vie communautaire. Si nous vivons ainsi, nous ne manquerons d’aucun
« don spirituel ». La communauté
elle-même est un don que nous recevons et non quelque chose que nous construisons
nous-mêmes. Cette communauté doit
vivre en communion avec les autres communautés et l’ensemble du peuple de
Dieu. Et une mention spéciale est
faite de l’unité des chrétiens. La
vie monastique étant de sa nature même une vie de communion, il est normal
que les moines et les moniales soient d’une façon toute spéciale impliqués
dans l’œcuménisme tout comme dans le dialogue entre les Religions. Cependant, la suite du texte nous rappelle
que la « fécondité spirituelle » qui nous est propre doit venir
non pas de telle ou telle activité que nous pouvons exercer mais de la qualité
de notre vie monastique.
Finalement, ce paragraphe se termine
par la mention de Marie, à qui toutes les communautés de notre Ordre sont
dédiés, et qui est « Mère et figure de l’Église dans l’ordre de la foi,
de la charité et de l’union parfaite avec le Christ ». Cette expression
est en fait une citation de la Constitution Lumen Gentium (sur l’Église),
n. 63, qui reprend elle-même un texte de saint Ambroise (Expositio in Lucam,
II,7).
Je laisse pour la semaine prochaine
le cinquième paragraphe, qui parle de l’organisation du monastère en conformité
avec ces principes spirituels.