27 octobre 2002 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Constitution nº 3 : L'esprit de l’Ordre

 

1

La forme de vie cistercienne est cénobitique. Les moines cisterciens cherchent Dieu et marchent à la suite du Christ sous une règle et un abbé dans une communauté stable, école de charité fraternelle. Parce que tous les frères ne forment qu'un cœur et qu'une âme, tout leur est commun. Portant le fardeau les uns des autres, ils accomplissent la loi du Christ et, participant à ses souffrances, ils espèrent entrer dans le royaume des cieux.

 

2

Le monastère est école du service du Seigneur en laquelle le Christ est formé dans le cœur des frères grâce à la liturgie, à l'enseignement de l'abbé et à la vie fraternelle. Par la Parole de Dieu les moines sont formés à une maîtrise du cœur et de l'action qui leur permet en obéissant à l'Esprit Saint d'atteindre à la pureté de cœur et au souvenir incessant de la présence de Dieu.

 

3

Les moines suivent les traces de ceux qui dans les siècles passés ont été appelés par Dieu au combat spirituel dans le désert. Citoyens des cieux, ils se rendent étrangers aux manières du monde. Vivant dans la solitude et le silence ils aspirent à cette paix intérieure dans laquelle la sagesse est engendrée. Ils se renoncent à eux-mêmes pour suivre le Christ. Par l'humilité et l'obéissance ils luttent contre l'orgueil et la révolte du péché. Dans la simplicité et le travail ils sont en quête de la béatitude promise aux pauvres. Par leur hospitalité empressée ils partagent la paix et l'espérance que donne le Christ, avec ceux qui, comme eux, sont en marche.

 

4

Le monastère est figure du mystère de l'Eglise. Rien n'y est préféré à la louange de la gloire du Père et aucun effort n'est épargné pour que la vie commune tout entière soit soumise à la loi suprême de l'Evangile, en sorte que la communauté des frères ne manque d'aucun don spirituel. Les moines ont le souci d'être en communion avec l'ensemble du peuple de Dieu; ils partagent son attente et sa recherche de l'unité de tous les chrétiens. En effet, par la pratique fidèle de leur vie monastique, comme par la secrète fécondité apostolique qui leur est propre, ils servent le peuple de Dieu et l'humanité tout entière. Chaque église de l'Ordre comme chacun des moines est dédié à la bienheureuse Marie, Mère et Figure de l'Eglise dans l'ordre de la foi, de la charité et de l'union parfaite avec le Christ.

 

5

Toute l'organisation du monastère tend à ce que les moines soient intimement unis au Christ, puisque seul un attachement d'amour de chacun au Seigneur Jésus permettra aux grâces spécifiques de la vocation cistercienne de s'épanouir. Les frères ne trouvent leur contentement, en persévérant dans une vie simple, cachée et laborieuse, que s'ils ne préfèrent absolument rien au Christ, qui les conduise tous ensemble à la vie éternelle.

 

 

La troisième constitution a comme titre « L’esprit de l’Ordre ».  Elle est assez longue et comprend cinq paragraphes qui résument les aspects les plus importants de la spiritualité monastique telle qu’elle est conçue et vécue dans notre Ordre. Lorsqu’on abordera plus tard les Constitutions de caractère plus technique décrivant la structure et le fonctionnement de chaque communauté ou de l’Ordre, il faudra se souvenir que tous ces textes juridiques n’ont d’autre but que d’aider chaque communauté et chaque moine/moniale à vivre la spiritualité présentée succinctement dans la présente Constitution qui fait suite à celle commentée la semaine dernière et qui affirmait le caractère contemplatif de notre vie. 

 

Le premier paragraphe reprend une phrase de notre Déclaration sur la Vie Cistercienne de 1969[1]. On affirme ici d’emblée que nous sommes des cénobites, c’est-à-dire que nous sommes au monastère pour « chercher Dieu en marchant à la suite du Christ sous une règle et un abbé, dans une communauté stable, qui est une école de charité fraternelle ».  Ce sont tous les éléments du cénobitisme que nous avons déjà vus en commentant la Règle de saint Benoît.  

 

On remarquera aussi une citation du texte des Actes des Apôtres, auquel s’est toujours référée la tradition cénobitique depuis ses origines, (cité par exemple en RB 33.6) et qui est la description de la vie de la communauté primitive de Jérusalem : « La multitude des croyants n’avait qu’un coeur et qu’une âme... ils mettaient tout en commun ».  La mise en commun est donc conçue comme une conséquence et une expression du fait de n’avoir « qu’un coeur et qu’une âme ».  À cette mise en commun des biens matériels est ajoutée une autre mise en commun : celle de nos difficultés et de nos faiblesses, par la citation de Ga 6,2, un texte qui revient souvent dans notre Office liturgique : « Portez les fardeaux les uns des autres – alter alterius onera portate ».

 

            Apparaît ensuite pour la première fois dans le texte des Constitutions l’expression typiquement cistercienne de la communauté conçue comme une « école de la charité », expression que l’on retrouve par exemple chez Guillaume de Saint-Thierry et chez saint Bernard[2].

 

            Le paragraphe suivant reprend cette idée de l’école, mais en utilisant l’expression propre à saint Benoît : « école du service du Seigneur » (RB Prol. 45).  Le but de cette école est que le Christ soit formé dans le coeur de chaque frère.  La référence est évidemment à Ga 4,19 : ...donec formetur Christus in vobis «...jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous».  C’est un texte souvent cité par Guerric d'Igny[3].  La même idée sera l’intuition de base de notre Ratio (Document sur la formation), qui partira d’une autre citation de saint Paul « Appelés à être transformés à l’image du Christ » (2 Co 3,18) :

 

On mentionne alors trois des principaux éléments par lesquels cette formation du Christ dans le coeur des moines peut se réaliser : la liturgie, d’abord, puis l’enseignement de l’abbé et la vie fraternelle.  Cependant, la source de chacun de ces trois éléments, c’est la Parole de Dieu, à laquelle on s’abreuve dans la lectio divina et qui nous forme « à la maîtrise du coeur et de l’action » et qui nous permet, dans « l’obéissance à l’Esprit Saint » « d’atteindre à la pureté du coeur et au souvenir incessant de la présence de Dieu ».  Chacune de ces expression sera ensuite reprise dans une Constitution distincte.

 

            On reconnaît facilement dans ce paragraphe une autre phrase de la Déclaration  de 1969 : «Le coeur purifié par sa Parole, par les veilles, les jeûnes et par une incessante conversion de vie, nous nous disposons à recevoir de l'Esprit le don de la prière pure et continuelle».

            Les trois paragraphes suivants continuent d’énumérer plusieurs éléments de l’ascèse monastique qui feront tous l’objet de Constitutions particulières dans la Seconde Partie.  Le par. 3 établit le lien entre cette ascèse et la tradition monastique des siècles passés, le par. 4, avec l’ensemble de l’Église, et le par. 5 avec l’organisation concrète de la vie du monastère.  Nous y reviendrons.

 



[1] Nous poursuivons cette recherche de Dieu sous une Règle et un Abbé, dans une communauté de charité, tout entière responsable, dans laquelle nous nous engageons par la stabilité

[2] specialis caritatis schola «L'école spéciale de la charité» De la nature et de la dignité de l'amour, IX,26.  Sur "l'école de l'amour", voir, par exemple, saint Bernard, sermon De diversis, 121. Voir Etienne GILSON, La théologie mystique de saint Bernard, 5e éd., Paris 1986, p. 78-107. Voir le 15ème  traité de Baudouin de Ford, De vita cœnobitica, seu communi, traduction française par Robert THOMAS dans la collection Pain de Cîteaux, vol. 40, p. 16-92.

[3] Voir lettre 341 de saint Bernard, à propos d'irlandais envoyés par Malachie pour se former au noviciat de Clairvaux donec plenius in eis formetur Christus... Cum igitur fuerint in schola Sancti Spiritus eruditi... tunc demum ad patrem filii revertentur«jusqu'à ce qu'en eux le Christ soit davantage formé... Quand ils seront instruits à l'école du Saint­Esprit... alors les fils retourneront chez leur père...»