6 octobre 2002 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Vatican II, 40 ans après

 

(Commentaire du nº 3 du Prologue des Constitutions)

 

L'aspiration à une vie vraiment monastique prit corps de diverses manières au cours des âges; elle motive encore moines et moniales dans le renouveau résolu de leur vie. Obéissant aux directives du second Concile du Vatican, ceux-ci s'attachent à comprendre plus profondément leurs sources, tout en s'ouvrant à l'action de Dieu aujourd'hui. En 1969, le Chapitre Général, dans sa Déclaration sur la vie cistercienne et le Statut Unité et Pluralisme, a réaffirmé l'adhésion de l'Ordre à la Règle de saint Benoît comme étant, pour lui, l'interprétation de l'Évangile; il a donné des indications et ouvert des chemins pour qu'elle puisse être pratiquée fidèlement dans un monde où les conditions de vie ont changé. Ainsi, dans ces documents, le Chapitre Général distingue le sens et les observances fondamentales de la Règle qui forment la base de la voie cistercienne, et les particularités qui peuvent changer selon les circonstances locales.

           

            L’une des tâches au programme du récent Chapitre Général de l’Ordre était la « mise à jour » des Constitutions de l’Ordre.  Il s’agissait non pas d’une grande révision du contenu des Constitutions, dont le texte fut approuvé en 1990, mais d’une simple mise à jour du texte, compte tenu du fait que des modifications y ont été ajoutées à chacun des Chapitres Généraux tenus depuis (1993, 1996, 1999 et 2002). Ce simple fait montre bien que nous avons été fidèles au principe que « la loi suit la vie » et qu’une bonne législation doit être constamment revue pour correspondre aux circonstances changeantes de la vie.       

 

            Le nº 3 du Prologue des Constitutions rappelle que le grand effort de révision des Constitutions qui se poursuivit durant plus de vingt-cinq ans s’inscrivait dans le grand renouveau spirituel suscité par le Concile et fut un élément important de ce renouveau. 

 

            La première phrase de ce paragraphe dit que ce travail de révision a répondu à « l’aspiration à une vie vraiment monastique [qui avait pris] corps de diverses manières au cours des âges », et se voulait un « renouveau  résolu » non seulement en fidélité aux Directives du Concile Vatican II, mais dans le souffle même du renouveau conciliaire, à une époque où l’on était très conscients à la fois de la différence importante entre renouveau et réforme et de l’articulation essentielle entre les deux.  Ceux qui, comme moi, ont vécu « dans leurs tripes » et avec toute l’ardeur un peu naïve de la jeunesse cette période enthousiasmante, écoutent aujurd’hui avec un mélange de sympathie, d’agacement et de tristesse, les appels occasionnels au « renouveau » provenant de ceux qui leur ont succédé dans les cadres de cette « jeunesse un peu naïve », qui semblent impliquer que jusqu’ici on n’a fait que des réformes et qu’il est temps de commencer le renouveau...  Le renouveau spirituel, toujours imparfait et toujours en recherche, est ce que nous vivons dans notre Ordre depuis quarante ans.

 

            Personnellement, cela me touche de très près, et vous me permettrez sans doute de faire ce qui ressemblera un peu à une « confession personnelle ».  Il y a exactement quarante ans, le 11 octobre 1962, le lendemain de mon arrivée à Rome pour y poursuivre mes études de théologie et de liturgie, j’étais présent sur la Place Saint-Pierre pour l’ouverture du Concile.  Vivre à Rome toutes ces années du Concile et de l’Après-Concile fut une grâce extraordinaire.  Je n’ai jamais cessé de croire que Vatican II avait été et n’a cessé d’être jusqu’à aujourd’hui une grâce pour l’Église.  Bien que « rebelle par nature », j’ai toujours cru au renouveau au sein de l’Église et au sein de l’Ordre, même lorsque beaucoup de mes amis ont pris d’autres chemins.  Et j’ai toujours cru qu’il valait la peine de s’impliquer à fond, au sein de l’Ordre et de l’Église dans toutes les « réformes » (y compris celles des Constitutions et des divers Statuts de l’Ordre) nécessaires pour la réalisation concrètes de ce « renouveau ».

 

            Vatican II, dans le Décret Perfectae caritatis avait déterminé les deux grands axes du renouveau : d’une part « s’attacher à comprendre plus profondément nos sources », ce qui impliquait les étudier sérieusement et qui demandait énormément de travail (un travail commencé dans notre Ordre, plusieurs décennies auparavant, par Dom Anselme Le Bail), et, d’autre part, « s’ouvrir à l’action de Dieu aujourd’hui », ce que Jean-Paul II avait appelé « être attentifs aux signes des Temps » qui sont une des voix par lesquelles Dieu nous parle.  Il n’est jamais facile de maintenir les deux ensemble.  Il est toujours plus facile de n’être tournés que vers le passé sans attention au présent ou que vers l’avenir en ignorant le passé.

 

            Le paragraphe du Prologue des Constitutions que nous commentons ce matin fait allusion à un moment clé de ce renouveau, qui fut le Chapitre Général de 1969, qui fut le premier auquel j’ai eu la grâce de participer.  Ce Chapitre fut, pour notre Ordre, une sorte de Pentecôte où le souffle de l’Esprit était palpable.  L’Ordre s’y est ouvert en toute simplicité à l’Esprit de Vatican II et de cette réunion sont sortis deux documents assez simples en eux-mêmes mais très clairs dans leurs orientations, qui ont donné à toute l’évolution de notre Ordre depuis lors une ligne très claire et constante.  On y rappelait que toute notre vie est centrée sur la recherche d’une « expérience du Dieu vivant », c’est-à-dire d’une rencontre personnelle avec Dieu.  Une rencontre qui se fait en vivant aussi fidèlement l’Évangile qui demeure notre Règle fondamentale de vie, la Règle de saint Benoît, qui demeure pour nous le document spirituel de référence, étant perçue comme une « interprétation de l’Évangile » (ne s’y substituant évidemment pas).  On y rappelait aussi l’obligation constante d’incarner l’Évangile et ses exigences dans les circonstances concrètes, toujours changeantes de la vie d’aujourd’hui et de la vie de chaque communauté concrète.

 

            Dans son discours d’ouverture du Concile, sur la Place Saint-Pierre, le 11 octobre 1962, le Bienheureux Pape Jean XXIII avait eu des mots très forts et même durs, à l’égard de ceux qu’il appelait des « prophètes de malheur » et qui ne voyait que du négatif dans la vie de l’Église et du monde d’aujourd’hui.  Dans les années qui ont suivi le Concile, et au cours des quarante dernières années, beaucoup de façades et de structures dans l’Église se sont écroulées, auxquelles on avait à tort, durant longtemps, pensé que l’Église s’identifiait.  De nos jours, les « prophètes de malheur » ne manquent pas non plus, qui voudraient défaire l’histoire et ramener l’Église à une Église d’avant Vatican II ou même à l’époque de la « Chrétienté » médiévale.  Je suis de ceux qui croient que l’histoire ne se défait jamais, que la précarité actuelle de l’Église et des communautés de notre Ordre est une grâce qu’il faut savoir reconnaître et assumer.   Sur cela je reviendrai dimanche prochain dans le commentaire du numéro suivant (et dernier) du Prologue des Constitutions.

 

Armand VEILLEUX