1er septembre 2002 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Le Chapitre général prophétique de 1969

 

 

L'aspiration à une vie vraiment monastique prit corps de diverses manières au cours des âges; elle motive encore moines et moniales dans le renouveau résolu de leur vie. Obéissant aux directives du second Concile du Vatican, ceux-ci s'attachent à comprendre plus profondément leurs sources, tout en s'ouvrant à l'action de Dieu aujourd'hui. En 1969, le Chapitre Général, dans sa Déclaration sur la vie cistercienne et le Statut Unité et Pluralisme, a réaffirmé l'adhésion de l'Ordre à la Règle de saint Benoît comme étant, pour lui, l'interprétation de l'Évangile; il a donné des indications et ouvert des chemins pour qu'elle puisse être pratiquée fidèlement dans un monde où les conditions de vie ont changé. Ainsi, dans ces documents, le Chapitre Général distingue le sens et les observances fondamentales de la Règle qui forment la base de la voie cistercienne, et les particularités qui peuvent changer selon les circonstances locales. (Avant propos, 3)

 

 

Dans l’avant-propos historique de nos Constitutions, après le rappel du charisme initial de l’Ordre, au 12ème siècle et la mention de ce que nous devons au mouvement spirituel de la Stricte Observance et aux principales personnalités qui ont marqué ce mouvement, mention est faite du Concile Vatican II et des deux principaux documents qui ont marqué le début du renouveau post-conciliaire dans notre Ordre, la Déclaration sur la vie cistercienne et le Statut Unité et Pluralisme, du Chapitre Général de 1969.

 

            Lorsque je serai à Rome, au cours des prochains jours, et que j’aurai sans doute l’occasion au moins une fois ou l’autre de me retrouver sur la Place Saint Pierre, ce ne sera certainement pas sans une certaine émotion que je me souviendrai que j’étais sur cette Place Saint-Pierre au début d’octobre 1962 (il y a donc exactement 40 ans) pour l’ouverture du Concile.  Les années du Concile (1962-1965) et les premières années de l’après-Concile, furent, surtout à Rome, des années d’une intensité exceptionnelle.  (Je serai heureux de retrouver, au Chapitre Général de cette année, encore quelques-uns des anciens étudiants romains, de diverses parties du monde, avec qui j’ai vécu à Rome ces années-là). 

 

            Pour notre Ordre, ce furent aussi des années particulièrement riches en événements.  Le fait qu’il y avait alors à la Maison Généralice (Monte Cistello) une grand nombre d’étudiants venus de presque tous les monastères de l’Ordre (nous étions 85 étudiants en 1962-63), qui firent ensemble l’expérience de ces années du Concile, et dont plus de la moitié travaillèrent ensuite a la formation dans leurs monastères, et plus du tiers devinrent supérieurs de leurs communautés, concourut beaucoup à ouvrir l’Ordre à l’esprit conciliaire. 

 

            En octobre 1965, à sa troisième session, le Concile votait le décret Perfectae Caritatis, sur le renouveau de la vie religieuse, donnant aux Congrégations et Ordres religieux des orientations et des directives pour la réalisation de ce renouveau.

 

            Dans notre Ordre, le Chapitre Général de 1969 fut un point tournant : certainement le plus important de tous les Chapitres Généraux depuis le Chapitre d’Union de 1892.  Ce fut le premier Chapitre Général auquel j’assistai, et je me souviens encore à quel point on pouvait y percevoir, presque d’une façon sensible et palpable, la présence et l’action de l’Esprit Saint.  (Je serai heureux de retrouver à Rome, dans les prochains jours, quelques « survivants » de ce Chapitre historique !). 

 

            C´était le début de notre renouveau et donc aussi de nos réformes post-conciliaires.  Nous devions mettre en marche la révision de nos Constitutions.  Il y avait beaucoup d’attentes et tout autant de craintes.  Les « Régions », qui avaient commencé à tenir des réunions quelques années auparavant, avaient des sensibilités très différentes.  Le Chapitre, qui a commencé dans une certaine tension et pas mal d’appréhension, s’est terminé dans une très grande unité.  Cette unité s’est construite graduellement, tout au long du Chapitre, autour de l’élaboration des deux documents mentionnés dans le paragraphe de l’avant-propos des Constitutions que je commente : la Déclaration sur la vie cistercienne et le Statut sur l’Unité et le Pluralisme.

 

            Après la deuxième Guerre Mondiale, notre Ordre s’était répandu rapidement, aux États-Unis d’abord, puis en Afrique, en Amérique Latine et un peu partout dans le monde.  Jusqu’à ce moment-là les Us et Coutumes avaient été les mêmes à travers tous les monastères de l’Ordre, et l’on considérait même que l’uniformité des observances était le moyen principal de conserver et d’exprimer l’unité.  Dès le début des années ’50 – donc, assez longtemps avant le Concile – Dom Gabriel Sortais, alors Abbé Général, s’était rendu compte que cette unité des observances n’était plus ni possible ni opportune dans un Ordre qui devenait rapidement multiculturel.  Déjà les Chapitres Généraux avant et durant le Concile avaient introduit un certain nombre de changements aux observances. 

 

            Dans les années qui précédèrent le Chapitre Général de 1969, les Régions des USA et du Canada en particulier, parlaient de plus en plus d’un « pluralisme » nécessaire dans l’Ordre.  Lorsque ce pluralisme fut évoqué, au début du Chapitre de 1969, on se dit que le pluralisme ou la pluralité dans l’expression de mêmes valeurs fondamentales n’était possible que s’il y avait une véritable unité de vision concernant ces valeurs.  Il s’agirait en effet d’exprimer de façons diverses le même charisme et les mêmes valeurs.  C’est pourquoi on considéra essentiel de rédiger une Déclaration sur la Vie cistercienne. C’est dans le processus de rédaction de ce document que l’unité profonde du Chapitre s’est créée et exprimée.

 

            Au début, on pensait à une « définition de la vie cistercienne » ;  mais on s’est vite rendu compte que la vie cistercienne n’est pas une réalité abstraite que l’on puise définir.  On pensa aussi à une « description » ;  mais la vie cistercienne est un phénomène historique qui a connu de nombreuses expressions au cours des âges, et toute « description » impliquerait un choix arbitraire préalable des éléments que l’on fait entrer dans cette description ou que l’on en exclut.  On décida alors de faire plutôt une « Déclaration » qui serait à la fois un acte de foi dans une vocation commune reçue de Dieu et un engagement à vivre cette vocation.  En rédigeant cette « Déclaration », nous nous sommes vite rendu compte que malgré toutes nos différences culturelles et autres, les valeurs monastiques que nous voulions vivre, en particulier celle d’un recherche de l’expérience de Dieu dans la prière contemplative, étaient les mêmes.  Nous avons pu ensuite rédiger le Statut sur l’Unité et le Pluralisme où nous énumérons de nouveau les valeurs et les observances fondamentales que nous désirons avoir en commun et laissons, d’autre part, aux communautés locales un grand pluralisme dans la façon de traduire ces orientations dans la vie de tous les jours tenant compte des diverses cultures. 

 

            Ces deux documents sont maintenant en quelque sorte dépassés, puisqu’ils ont été repris et reformulés dans nos Constitutions actuelles, mais il vaut la peine de les relire, puisqu’ils sont à la base et à l’origine de l’effort de renouveau spirituel que nous poursuivons dans l’Ordre depuis ce moment-là.

 

            C’est dans ces documents que nous voyons affirmés pour la première fois la conception selon laquelle la Règle de saint Benoît est pour nous une interprétation concrète de l’Évangile.  Celui-ci demeure donc toujours notre norme première et il faut distinguer dans la Règle ce qui est transmission du donné Évangélique sur la vie parfaite et ce qui est application de ces données évangéliques à un contexte historique et culturel nécessairement distinct du nôtre.  Cette application au contexte historique et culturel est sans cesse à refaire, surtout dans les périodes de transformation culturelle rapide ; et c’est ce que font nos Constitutions, dont nous poursuivrons dans les prochaines semaines le commentaire.

 

Armand VEILLEUX