18 août 2002 – Chapitre à la Communauté de Scourmont
Commentaire des Constitutions de l’Ordre
Nos
Fondateurs et le patrimoine qu’ils nous ont légué
Nos Constitutions comportent un Avant-propos
de quatre paragraphes qui ne fait pas partie à proprement parler des Constitutions
approuvées par le Saint Siège. (Cela faisait partie du projet présenté à la
Congrégation des Religieux, mais ils ont demandé de le retirer et d’en faire
une simple introduction ; la
principale raison étant que cet Avant-propos a un caractère surtout historique et qu’il n’appartient
pas au Saint-Siège d’approuver des interprétations historiques. Ces quelques
paragraphes représentent cependant la vision des moines et moniales de notre
Ordre et conservent donc toute leur importance pour nous.
Commentons aujourd’hui tout simplement
le premier paragraphe. Beaucoup de
choses y sont affirmées. Tout d’abord,
que la tradition cistercienne commence en 1098 lorsque Robert de Molesmes,
Albéric et Étienne Harding (et leurs compagnons) fondent le monastère de Cîteaux
et donc en même temps l’Ordre Cistercien, puisque c’est de cette abbaye de
Cîteaux, appelée pour cela « notre Mère à tous » que sont sortis
tous les autres monastères de l’Ordre.
Les saints abbés Robert de Molesmes, Albéric et Etienne Harding donnèrent
à la tradition bénédictine une forme particulière quand, en 1098, ils construisirent
le Nouveau Monastère de Cîteaux, notre Mère à tous, et fondèrent l'Ordre Cistercien.
Vers 1125, saint Etienne érigea le monastère de moniales de Tart comme propre
maison-fille de Cîteaux confiée au soin pastoral de son abbé. Le Petit
Exorde et la Charte de Charité expriment la vocation des fondateurs
et la mission reçue de Dieu, que l'Église a sanctionnée et sanctionne de son
autorité pour leur temps comme pour le nôtre. Sous l'impulsion de saint Bernard
de Clairvaux et d'autres, ce propos de réforme se propagea au point que les
monastères de moines et de moniales vivant à la manière cistercienne se répandirent
au-delà même des frontières de l'Europe occidentale. En cette période
initiale, on accueillit aussi dans l'Ordre des frères convers et sœurs converses.
La vie et les labeurs de tant de frères et de sœurs ont donné naissance à
un patrimoine spirituel solide, qui a trouvé son expression aussi bien dans
les écrits, le chant, l'architecture et l'art que dans la saine gestion de
leurs domaines.
Cîteaux ne fut pas un début absolu.
Cette fondation s’inséra dans tout un mouvement de renouveau et de
réforme, dans lequel Robert de Molesmes joua un rôle important, et qui donna
à la « tradition bénédictine » une forme particulière.
En effet, la vie monastique est toujours vécue à l’intérieur d’une
« tradition » particulière. La
vie vécu à Molesmes s’insérait dans la tradition de Cluny,
elle-même une réforme de la manière particulière de la vivre la Règle de saint
Benoît qui devait son origine à Grégoire le Grand.
Sont mentionnés ensuite les deux principaux
des Écrits Primitifs de l’Ordre, le Petit Exorde et la Charte de
Charité. Ces écrits conservent toujours une valeur fondatrice, car ils
expriment dans la forme primitive la plus fraîche le charisme original de
l’Ordre. Le Petit Exorde décrit
ce qu’ont vécu les premiers cisterciens, quelles étaient leurs intentions,
et leur interprétation des événements dans lesquels ils furent impliqués. La Charte de Charité due surtout au
génie d’organisation d’Étienne Harding, fut sans doute ce qui permit le plus
au charisme initial de se perpétuer dans une structure, qu’on appela un Ordre.
Tout au long de l’histoire, de très nombreuses initiatives de grande
valeur n’ont pas de lendemain, parce qu’elles ne savent pas se donner des
structures permanente. D’autres se figent rapidement dans des structures
rigides qui empêchent la vie de se développer. Cîteaux doit certainement son développement
extraordinaire, au 12ème siècle, en très grande partie au génie
d’organisation d’Étienne Harding exprimé dans la Carta Cartatis. Les deux écrits mentionnés expriment, dit notre
texte, « la vocation des fondateurs et la mission reçue de Dieu et sanctionnée
par l’Église pour leur temps comme pour le nôtre.
La phrase suivante mentionne la propagation
rapide de ce « propos de réforme » à travers toute l’Europe occidentale
et même au-delà des frontières de celle-ci, « sous l’impulsion de saint
Bernard et d’autres ». Un hommage est ici rendu à saint Bernard, mais son rôle est situé
correctement. Il n’est pas notre fondateur,
mais appartient à la deuxième génération des Cisterciens. Étant entré fort jeune à Cîteaux, ce qu’il
est devenu par la suite témoigne de la qualité exceptionnelle des formateurs
qui l’ont reçu à Cîteaux et qui l’ont formé.
Comme dit notre texte, il donna « une impulsion » formidable
– avec d’autres, pas seul – à un « propos de réforme » déjà bien
établi.
Enfin, ce paragraphe mentionne deux
aspects importants du Cîteaux primitif : la présence des moniales dans
l’Ordre et l’institution des frères convers.
L’histoire des moniales dans l’Ordre demanderait un traitement particulier,
auquel nous pourrons revenir un jour. Ici, l’essentiel est dit en quelques mots. On sait que les premiers cisterciens étaient
plutôt défavorables à ce que l’Ordre comporte des monastères de moniales. Celles-ci sont en quelque sorte entrées dans
l’Ordre par la porte d’en arrière. Le
premier monastère de moniales cisterciennes fut celui de Tart, qui ne dépendait pas du Chapitre Général, comme
les monastères masculins mais directement d’Étienne, abbé de Cîteaux.
En même temps, ce monastère était considéré comme une maison fille
de Cîteaux, tout comme les maisons de moines.
On a donc là le début de la relation entre monastères désignée par
le mot « filiation ».
On mentionne aussi l’institution des
« frères convers » et « soeurs converses », sans s’arrêter
à décrire ce que fut leur vocation et l’évolution de cette institution dans
l’Ordre. On sait que distinction entre
choristes et convers a été supprimée dans l’Ordre en 1965. Cela n’a pas été vécu de la même façon par
tous. Pour l’ensemble de l’Ordre,
ce fut une évolution normale, qui s’imposait.
Pour quelques-uns cela fut vécu comme la « suppression des frères
convers ». Il était donc important,
dans cet avant-propos des Constitutions, de caractère historique, de les mentionner,
même si on ne pouvait faire ici l’histoire de cette institution.
Enfin, la dernière phrase de ce premier
paragraphe d’introduction est très importante, car elle énumère plusieurs
aspects de ce que depuis lors nous appelons le « patrimoine » spirituel
de l’Ordre. Ce patrimoine est l’héritage
que nous avons reçu de tous les frères et soeurs qui ont vécu la tradition
cistercienne avant nous. Nous ne sommes pas les propriétaires de ce
patrimoine. Nous l’avons reçu et nous
en avons la garde avec obligation de le transmettre aux générations suivantes
avec une vitalité toujours renouvelée. Ce
patrimoine, est-il écrit, a trouvé son expression évidemment, dans des écrits,
ans le chant (liturgique) dans l’architecture et l’art, mais aussi dans « la
sainte gestion de leurs domaines ».
Cette dernière mention, un peu inattendue, a peut-être
plus que jamais aujourd’hui son importance. On a souvent fait remarquer que les premiers cisterciens, après
avoir adopté une forme de pauvreté radicale et choisi de vivre du fruit de
l’exploitation de leurs propres domaines, sont souvent devenus propriétaires
de grands domaines florissants. Il
ne faut pas nécessairement y voir une décadence.
Il faut peut-être surtout y voir la réponse à des besoins de la société
dans laquelle ils se trouvaient. Les
Cisterciens ont joué un rôle capital dans tout le développement social et
économique de l’Europe, simplement parce qu’ils ont eu le souci de bien administrer
les domaines qu’on leur confiait. Cela
vaut encore aujourd’hui. Les Ordres
monastiques ne sont pas des Ordres Mendiants. La pauvreté monastique ne consiste pas à vivre
au dépens des autres. Les moines ont
plutôt la responsabilité de bien gérer le patrimoine qui leur est confié de
façon non seulement à en tirer ce qu’il leur faut pour vivre sobrement, mais
aussi pour aider les plus nécessiteux autour d’eux et concourir au développement
intégral de la société.