11 août 2002 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Introduction aux Constitutions de l’Ordre

 

 

            Je commence aujourd’hui un commentaire des Constitutions de l’Ordre, qui pourra nous occuper fort longtemps, car cela, peut-être encore plus que le commentaire de la Règle de saint Benoît, nous amènera à commenter tous les aspects de la vie cistercienne aujourd’hui. 

 

            Nous pouvons tout d’abord nous demander « Pourquoi avons-nous besoin de Constitutions ? » et « Quel est la nature et le sens de ce document ? ». 

 

            Évidemment, nous pourrions dire que tout groupe humain, toute société de quelque nature qu’elle soit, a besoin d’un minimum d’organisation, si l’on ne veut pas vivre dans le chaos, et qu’on a donc besoin d’un certain nombre de règles que tous doivent respecter pour rendre possible une vie sociale où règne un peu d’harmonie.  Cette première réponse n’est pas fausse, mais ne va pas au coeur des choses.  Si nous avons besoin de Constitutions, c’est que nous avons besoin de l’expression d’une identité commune. 

 

            Les Constitutions d’un Ordre religieux sont beaucoup plus qu’une série de lois réglant la marche de la vie.  C’est avant tout un document qui exprime les grandes lignes de la spiritualité de l’Ordre pour aujourd’hui.  Et l’approbation du Saint Siège qui leur est accordée garantit leur authenticité chrétienne.

 

            Toutes les valeurs fondamentales de la vie monastique sont des valeurs chrétiennes essentielles que tous peuvent vivre en dehors du monastère.  Il n’est pas nécessaire d’être moines pour les vivre.  Mais au monastère, ces valeurs sont organisées d’une manière particulière ;  il y a une hiérarchie des valeurs, et des priorités spécifiques. 

 

            De même, toutes les personnes qui veulent se réunir en vue de former des communautés peuvent le faire librement, même dans l’Église.  Aucune permission n’est nécessaire pour cela.  Cependant, l’autorité de l’Église reconnaît officiellement certains groupes, en particulier les ordres et les congrégations religieuses.  Cette reconnaissance officielle est une sorte de garantie.  En les reconnaissant officiellement l’Église dit à l’ensemble du Peuple de Dieu qu’il s’agit là d’une authentique forme de vie chrétienne et que cette forme de vie chrétienne a démontré qu’elle aide ses membres à parvenir à la perfection de la charité, à laquelle tous sont appelés. 

 

            Ces formes de vie sont des charismes.  Ils sont suscités par l’Esprit.  Jamais la hiérarchie de l’Église ne les institue ;  elle ne fait que les reconnaître lorsqu’ils existent.  Par ailleurs ces charismes appartiennent à l’ensemble du Peuple de Dieu et non pas seulement aux quelques personnes qui vivent dans ces communautés à un moment donné.  C’est pourquoi la hiérarchie se réserve d’approuver, au nom du Peuple de Dieu, les Constitutions de toutes les Congrégations et tous les Ordres religieux.

 

            Il y a sans doute dans les Constitutions d’un Ordre monastique comme le nôtre, beaucoup de « normes » réglant la marche de la vie quotidienne, mais ce n’est pas là l’essentiel.  En tout premier lieu – et c’est là l’essentiel – nos Constitutions expriment les éléments fondamentaux de notre charisme et de la façon dont nous nous sentons appelés à le vivre.

 

            Après la réunion des trois Congrégations de Trappistes en 1892, et l’établissement de l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance, notre Ordre se préoccupa tout de suite de rédiger des Constitutions. On s’y mit dès 1893, et elles furent approuvées en 1894.  Elles donnèrent à notre Ordre une identité claire et une cohésion qu’il a gardées jusqu’à aujourd’hui tout en répondant à de nombreux défis, en particulier celui des deux Guerres Mondiales et son extension rapide à tous les continents et à de nombreuses cultures.

 

            Le Concile Vatican II demanda à tous les Ordres religieux de revoir leurs Constitutions pour les adapter aux nouvelles situations de l’Église et de la société de notre temps.  Dans notre Ordre, le travail de révision commença avec le Chapitre Général de 1967 et se termina par l’approbation du texte par le Saint Siège en 1990.  Ce qui veut dire que nous y avons travaillé durant plus de 25 ans.  Pourquoi un temps si long ?  C’est que nous avons pris comme option, dès le point de départ, de revoir lentement, dans l’ordre des besoins et des priorités, les divers aspects de notre vie monastique cistercienne, et de faire une compilation de nos diverses décisions au moment où il faudrait présenter un texte au Saint Siège.  Il y eut diverses commissions (dans lesquelles ont travaillé Père Charles, Dom Guerric et moi-même) ; mais surtout il y eut divers projets successifs étudiés par toutes les communautés de l’Ordre, puis dans les Conférences Régionales, avant de remonter à la Commission Centrale et au Chapitre Général.  Si bien que l’on peut dire que le texte voté en 1987 par les deux Chapitres des abbés et des abbesses, représente la vision commune de tous les moines (environ 3000) et moniales (environ 2000) de l’Ordre sur ce que nous percevons comme un appel de l’Esprit.

 

            De nos jours, dans le monde des affaires, comme dans le monde associatif en général, on parle beaucoup de l’importance d’un mission statement, d’un document dans lequel un groupe exprime son identité, ses buts, ses méthodes.  En fait c’est ce que sont les Constitutions pour l’ensemble de l’Ordre. Il ne s’agit pas d’une législation imposée de l’extérieur, ni même d’en haut au sein de l’Ordre.  Il s’agit plutôt de l’expression commune, après un long dialogue, de la conscience que tous les moines et moniales de l’Ordre ont aujourd’hui de leur vocation.  Nous devons y rechercher notre spiritualité avant d’y rechercher des normes réglant des aspects concrets de la vie en commun.

 

            J’en commenterai le texte à partir de dimanche prochain.