14 avril 2002 – chapitre à la Communauté de Scourmont
Conclusion de la Règle de saint Benoît (RB
73)
Avec le chapitre 73, se termine la Règle dans
l’état définitif dans lequel nous l’a transmise la tradition. Il n’y a pas de doute que ce chapitre soit
de Benoît lui-même, et exprime bien sa conception de la vie monastique.
Une des choses qui frappent en ce chapitre,
est l’humilité de Benoît qui sait situer sa contribution dans un contexte
beaucoup plus large où elle n’est qu’une maille dans une longue chaîne de
tradition. Pour lui la vie monastique
ne consiste pas à observer un certain nombre de règlements et à pratiquer
une certain nombre d’exercices ascétiques. Elle consiste dans le cheminement de personnes qui sont lancées
avec toute leur énergie vers le but de la vie chrétienne qui est la perfection
de la charité. La Règle n’a d’autre
but que d’apporter quelques orientations pour ce cheminement. Avec une simplicité et une sincérité qui n’a
rien de la fausse humilité, saint Benoît dit qu’il s’agit d’une règle « pour
débutants ». Mais il ne s’agit
pas de débutants ordinaires. Ceux
qu’il a en vue sont des débutants « qui se hâtent vers la patrie céleste ».
Et sur cette voie nous sommes toujours encore au début, tant que nous
ne sommes pas arrivés à destination.
Cela nous indique quelle attitude nous
devons avoir à l’égard de la Règle, ce que nous devons y chercher et ce que
nous ne pouvons pas y trouver. Ce
serait du pur archaïsme et même ce serait aberrant de penser qu’on serait
un bon moine bénédictin en pratiquant à la lettre toutes les prescriptions
de saint Benoît, car plusieurs de ces prescriptions ne sont plus adaptées
à notre contexte actuel, ni à la conscience ecclésiale et aux sensibilités
théologiques d’aujourd’hui. Il faut
plutôt voir la Règle comme elle a été vue durant des siècles : l’expression
particulièrement riche, équilibrée et adaptée à son temps d’une tradition
spirituelle beaucoup plus ancienne et qui ne pourra jamais être emprisonnée
dans un texte.
D’emblée Benoît renvoie à l’Écriture,
Ancien et Nouveau Testament, qui est le seul texte auquel il reconnaisse un
caractère normatif. C’est d’ailleurs
le seul endroit de la Règle où il utilise le mot latin « norma ».
C’est, dit-il, une norme parfaite (rectissima norma) de vie
humaine. Pas simplement de vie chrétienne, mais même
de « vie humaine » tout court (norma vitae humanae). Il renvoie aussi aux « saints Pères catholiques »,
indiquant par là ceux que nous appelons les « Pères de l’Église »,
y compris les Pères du monachisme. Il fait référence à Cassien, mais sans le nommer, et ne nomme explicitement
qu’un seul des Pères, chez qui il a puisé en grande partie son sens profondément
cénobitique : celui qu’il appelle « notre Père saint Basile ».
Ce beau chapitre qui conclut la Règle
nous permet de jeter un regard d’ensemble sur la façon dont saint Benoît voit
la vie monastique. En tout premier
lieu le moine doit être un être humain accompli, équilibré et heureux qui
désire vivre en plénitude. C’est celui
qui, entendant Dieu dire : « Quel est l’homme qui aime la vie et
désire voir des jours heureux » a répondu « Moi ! » (Prol.
15-16). Et pour arriver à ce but,
il a une norme toute tracée dans les Écritures.
Le moine est aussi un homme qui, à travers les Écritures, a reçu la
Révélation et le message du Christ. C’est
donc un Chrétien qui doit trouver dans l’Évangile tout l’enseignement dont
il a besoin, et sa norme de vie. Cet Évangile il l’a reçu à travers la tradition des Pères, et il
a été appelé par Dieu à vivre sa vie chrétienne dans une modalité, ou selon
une voie que la tradition a appelée « monastique ». Pour cela il trouve dans la Règle de Benoît
un interprétation de l’Évangile toute marquée par la sagesse, mais
appliquée à un contexte culturel déterminé.
Il lui faut donc au-delà de la Règle, et avec l’aide de la Règle, retourner
constamment à l’Évangile et, comme Benoît l’a fait pour son siècle, trouver
comment incarner la même attitude spirituelle dans le monde d’aujourd’hui.
C’est notre défi continuel, comme individus, comme communauté, comme
Ordre.
Armand VEILLEUX