11 novembre 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

L’oecuménisme monastique (RB 61)

 

            Avec le chapitre 61 de la Règle de saint Benoît, nous en sommes au dernier des chapitres qu’il consacre aux diverses catégories de candidats qui peuvent se présenter au monastère.  Il s’agit de la réception des moines pèlerins (peregrini) ou étrangers.  Il est clair que Benoît distingue nettement ces moines pèlerins des gyrovagues dont il a parlé au début de sa Règle.  Il les considère comme de vrais moines qui sont ou bien simplement de passage ou qui veulent se fixer dans le monastère qui les accueille.  Ce chapitre est écrit à une époque où l’institution monastique est beaucoup moins structurée que de nos jours, où il n’y a évidemment pas d’Ordres monastiques et où aussi bien les liens d’appartenance à une communauté que les liens entre les communautés sont plutôt flous.  Benoît prévoyait que ses moines, après une période de probation, promettent leur stabilité dans la communauté ;  mais il n’en était pas ainsi de beaucoup d’autres communautés monastiques.

 

            Il envisage tout d’abord le cas d’un moine pèlerin arrivant d’une région lointaine et voulant loger au monastère comme hôte.  Benoît demande qu’on le reçoive aussi longtemps qu’il le désire.  Évidemment il n’était pas question de prendre des informations à son sujet par téléphone, fax ou email !  Benoît pose quand même quelques conditions à cette hospitalité sans limite de temps : le moine ne doit pas troubler la communauté où il arrive par ses exigences, mais se contenter des coutumes qui y sont pratiquées et de tout ce qu’il y trouve.  Benoît est très cohérent dans toutes ses prises de position.  Ce que l’on trouve lorsqu’on arrive au monastère c’est une communauté vivant selon une règle.  Quiconque veut s’insérer dans cette vie communautaire, en en acceptant toutes les caractéristiques, est bienvenu ;  mais c’est là une condition sine qua non.

 

            Après avoir dit que le moine visiteur ne doit pas troubler la communauté qui l’accueille par ses exigences, Benoît ajoute tout de suite que l’abbé doit être humblement ouvert et réceptif si ce visiteur a des remarques à faire sur l’observance communautaire.  Tout comme Dieu peut révéler au plus jeune ce qu’il convient, au cours d’un dialogue communautaire, de même il est possible que le moine visiteur ait été envoyé par Dieu précisément pour corriger l’abbé et la communauté qui le reçoit.  C’est là pour tous une bonne leçon d’humilité. 

 

            Benoît prévoit ensuite le cas où ce moine visiteur désire se fixer de façon stable dans la communauté qui l’a accueilli comme hôte.  La réponse à son désir dépendra de la façon dont il s’est conduit durant son séjour.  S’il s’est montré exigeant ou même corrompu, non seulement on ne le recevra pas, mais on l’invitera à partir.  Par ailleurs, si sa conduite a été bonne, non seulement on accédera à sa demande, s’il veut se fixer dans la communauté, mais on l’invitera même à le faire.  Ce n’est évidemment pas pour Benoît une question de recrutement ou d’accroissement numérique de la communauté, car la dimension d’une communauté ne semble pas avoir d’importance pour lui – on peut en effet vivre la vie monastique aussi bien à cinq qu’à cinquante ou à cent (à condition qu’on ne vive pas à cinq dans une structure matérielle prévue pour cent).  Il a établi une école du service du Seigneur, c’est-à-dire une communauté où l’on apprend ensemble, jour après jour, à servir le Seigneur.  Quiconque désire sincèrement et lucidement vivre ce qui s’y vit est bienvenu.  Par ailleurs personne ne doit y être reçu s’il n’est pas prêt à assumer d’une façon stable ce qui s’y vit.

 

            Toujours préoccupé, en bon patricien romain, de la question du rang, beaucoup moins importante pour nous, Benoît prévoit que ce nouveau venu, qui vivait déjà comme moine avant de venir en ce monastère, puisse avoir en communauté un rang plus élevé que celui correspondant à la date de son entrée, tout comme il l’avait prévu pour les prêtres admis en communauté.

 

            Le chapitre se termine par une dernière note de prudence.  Si le moine appartenait à un autre monastère connu, où il pouvait avoir aussi promis sa stabilité, on ne le recevra pas sans le consentement de son abbé ou en tout cas pas sans lettre de recommandation.  Il est vrai, comme Benoît l’a dit un peu plus haut (v. 10) qu’en tout lieu c’est un seul et même Seigneur qu’on sert, mais on ne doit pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on nous fasse (Mat 7,12 ; Lc 6,31). 

 

            Dans la plus pure ligne de la discretio bénédictine, on trouve ici l’équilibre entre l’attention au bien spirituel de l’individu et le respect de la communauté – aussi bien de la communauté à laquelle le moine en question appartenait jusqu’à maintenant que de la communauté où il désire désormais se fixer.