Des prêtres qui voudraient demeurer au monastère (RB
60)
Après avoir parlé de la réception des candidats en général
(RB 58) puis de la présentation au monastère par leurs parents de candidats
très jeunes (RB 59 – une pratique abandonnée depuis plusieurs siècles), Benoît parle au chapitre 60 d’une autre catégorie,
celles des prêtres et des clercs en général. Il n’est pas question en ce chapitre de l’opportunité
ou non d’avoir des prêtres dans la communauté ni de l’ordination de moines.
Benoît reviendra sur cette question deux chapitres plus loin (RB 62).
Ici il s’agit de l’attitude à avoir à l’égard de quelqu’un ayant déjà
un rang dans l’Église et qui veut devenir moine, et surtout de l’attitude
que cette personne doit avoir.
Pour comprendre ce chapitre il faut se souvenir qu’il a
été écrit dans le contexte sociologique de l’empire romain où l’organisation
de l’Église s’insèrait dans une société fortement structurée. Le prêtre a dans le Peuple de Dieu une activité
spirituelle et sacramentelle, que Benoît estime et dont il parle brièvement
en divers endroits de sa Règle. Ce
n’est pas ici sa préoccupation. Il
ne faut pas lui demander de dire ce qu’il ne dit pas, ni lui reporcher de
ne pas parler ici de choses qui sont hors de son propos immédiat. Le prêtre, en plus – et en quelque sorte à cause – de son activité
spirituelle a un statut social dans la société ecclésiastique comme dans la
société civile, les deux étant d’ailleurs fort imbriquées. L’objet précis de ce chapitre est simplement
ceci : quelle attitude tenir
à l’égard de personnes ayant ce statut dans l’église et désirant être reçus
dans le monastère ? D’ailleurs
la dépendance de Benoît sur ce point à l’égard de Règles antérieures, telle
qu’elle a été expliquée par les commentateurs comme, p. e. dom Adalbert de
Vogüé, nous permet de nous demander si ces prêtres et ces clercs, lorsqu’ils
étaient admis au monastère (contrairement à certaines Règles antérieures,
comme celle des IV Pères, qui ne les acceptaient pas), étaient soumis au processus
d’intégration dans la communauté prévu au chapitre 58 ou s’ils étaient simplement
admis à « vivre au monastère ».
L’idée centrale de Benoît est que, d’une part, ces personnes
doivent bien comprendre ce qu’on vit au monastère et que d’autre part on doive
s’assurer qu’ils sont bien désireux et capables de se conformer en tout et
partout à la Règle commune et d’une façon stable (noter l’insistance de Benoît
sur cette notion de « stabilité » dans un style de vie librement
choisi).
En ce qui concerne le rang en communauté (souvenons-nous
que cette préoccupation du « rang » est omniprésente dans le monde
romain... de cette époque comme d’aujourd’hui !), Benoît fait une distinction
entre les célébrations liturgiques et le reste de la vie communautaire. Il trouve convenable que si un prêtre est admis
en communauté (à une époque où il y avait très peu de prêtres au monastère)
l’abbé lui attribue un rang au choeur plus élevé que celui correspondant à
la date de son entrée, et lui permette même de présider la célébration liturgique.
Mais dans tout le reste de la vie du monastère, il ne sera qu’un moine
entre d’autres, au rang établi par la date et l’heure de son entrée, et son
rang ecclésiastique ne sera nullement pris en considération lorsqu’il s’agira
de nommer un frère à une charge ou de lui confier une affaire à traiter.
Ce que Benoît dit des prêtres et des clercs dans ce chapitre
peut avoir de nos jours une application beaucoup plus large. À une époque où l’on entre au monastère souvent
à un âge plus avancé qu’autrefois, et où les personnes qui arrivent ont parfois
eu des fonctions importantes soit dans des activités pastorales aussi bien
en tant que laïcs qu’en tant que clercs, soit des responsabilités dans le
monde du travail, de la finance ou de la politique, les observations et recommendations
de Benoît sont valables pour chacun. On vient au monastère pour chercher Dieu dans une vie de prière,
de solitude et d’humble travail. En
cela nous sommes tous égaux et notre « rang » antérieur dans la
société ou dans l’Église n’a pas d’importance.
Les responsabilités que nous pouvons avoir eu avant d’entrer ne nous
donnent aucun « droit » à remplir des responsabilités semblables
au sein de la communauté. Si nous
sommes appelés à rendre des services – qui peuvent être en eux-mêmes plus
ou moins importants – cela n’affecte aucunement notre « importance »
personnelle.
Il y a peut-être là un phénomène dont on ne tient pas suffisamment
compte dans le processus de formation dans nos monastères et qui peut expliquer
certaines crises qui se produisent après un certain nombre d’années de profession,
surtout chez les moines (moins, semble-t-il chez les moniales, ou en tout
cas d’une façon différente). Dans notre société, l’homme tend beaucoup à être identifié – ou
à s’identifier – à ce qu’il fait. Ainsi,
en parlant avec quelqu’un, si l’on veut savoir quelque chose au sujet de son
père, on dit : « Qu’est-ce que fait ton père ? ».
On veut savoir quel est son travail, son rôle dans la société.
Lorsqu’on entre au monastère, on n’y entre pas pour exercer
une profession, ou jouer un rôle. Si
on avait une profession avant d’entrer, on cesse de l’exercer. Il y a là un dépouillement, un renoncement
essentiel pour arriver à la pureté du coeur qui conduit à une vie de prière.
Au début, on accepte assez facilement le fait
de n’avoir aucun rôle, aucune fonction avec laquelle nous identifier et cela
nous aide à découvrir notre véritable identité devant Dieu. Si l’on arrive à cette identité profonde, on
ne sera pas troublé par le fait de ne pas recevoir de tâches importantes et
si l’on en reçoit on ne s’identifiera pas avec elles. Si une pauvreté du coeur suffisante n’a pas été atteinte dès les
premières années de vie monastique, le danger sera soit de s’identifier aux
fonctions que l’on recevra et de les utiliser comme des occasions d’accomplissement
personnel plus que de service des autres, ou bien de souffrir de ne pas en
recevoir et de sombrer dans l’ennui et l’acédie.
On dit souvent que, dans la mesure du possible, on ne doit
pas donner de resonsabilités aux personnes qui sont encore dans les premières
étapes de leur formation monastique, afin de ne pas nuire à leur formation.
Il me semble que la perspective principale doit être de bien veiller
à la purification des intentions et des désirs, ce qui peut se réaliser aussi
bien en exerçant des responabilités, au niveau du travail par exemple, qu’en
étant sevré de telles responsabilités.
Pour chacun de nous, à quelque étape que nous soyons dans
notre vie monastique et quelles que soient les responabilités que nous ayons
ou non dans la vie communautaire, la question fondamentale demeure toujours
celle que pose un peu crument Benoît (en citant la parole de Jésus à Judas !) :
« Mon ami, dans quel but es-tu venu ? »