28 octobre 2001
Chapitre à la communauté de Scourmont
L’oblation des enfants par leurs parents (RB
59)
Le chapitre 59 de la Règle sur l’oblation des enfants au
monastère par leurs parents est l’un de ceux qui sonnent le plus étrange à
nos oreilles modernes et qui correspondent à une époque de l’histoire révolue
depuis plusieurs siècles. Ne voulant
laisser aucun des chapitres de la Règle sans commentaire, je me hasarderai
quand même à faire quelques réflexions au sujet de ce chapitre.
Tout d’abord il faut comprendre qu’à l’époque de Benoît,
dans la plupart des cultures, c’étaient les parents qui, souvent en suivant
des codes très précis, décidaient de l’avenir de leurs enfants, en organisant
leur mariage, souvent à un âge très jeune.
De même, tout comme des enfants étaient consacrés à Dieu dans le judaïsme
et élevés à l’ombre du Temple, de même des enfants étaient consacrés à Dieu
dans la vie monastique au cours des premiers siècles de l’Église. On avait alors conscience de leur faire une
faveur alors que de nos jours on est plus attentif au fait qu’on ne respectait
pas leur liberté et hypothéquait leur avenir.
Du point de vue matériel, Benoît n’est pas du tout soucieux
que la part d’héritage qui devait revenir à l’enfant passe au monastère.
Il prévoit plutôt que les parents en fassent ce qu’il veulent mais
qu’ils n’en réservent rien pour l’enfant.
Cette façon de déshériter l’enfant, en que sorte, nous paraît cruelle,
mais dans l’esprit du temps le but était d’assurer à l’enfant une pleine liberté
de coeur. (En réalité la liberté de choix est affectée tout autant par la
présence que par l’absence d’une fortune). Toujours est-il qu’il n’est pas
très facile de réconcilier cette pratique, telle qu’elle est décrite dans
ce chapitre de la Règle, avec l’insistance de Benoît dans le chapitre précédent
sur le fait que celui qui se convertit à la vie monastique à l’âge adulte
doit le faire en pleine connaissance de cause et après longue et mûre délibération.
Quoi qu’il en soit des interprétations historiques, réfléchissons
un peu sur l’âge auquel on peut commencer une vie monastique.
Il y a une cinquantaine d’années, on entrait souvent au monastère au
début de la vingtaine et même plus tôt. (Nous recevons encore des avis de
décès de moines entrés au monastère comme « petits oblats », à l’âge
de 13 ou 14 ans par exemple, il y a 70 ou 80 ans, en Espagne en particulier).
Aujourd’hui, l’âge considéré normal dans la plupart des monastères
d’Europe et d’Amérique est plutôt vers la fin de la vingtaine et même plus
tard. Dans les autres continents cela varie beaucoup
plus.
Y a-t-il un âge idéal ? Non ! L’important est
que le candidat ait la maturité suffisante pour faire un choix éclairé, tel
que décrit dans le chapitre précédent de la Règle, que j’ai récemment commenté. L’âge auquel on atteint à cette maturité varie
énormément d’une culture à l’autre et même d’une personne à l’autre au sein
d’une même culture. Dans les pays
les plus matériellement développés, où les jeunes ont très tôt l’occasion
de faire toutes sortes d’expériences et de poursuivre une grande variété d’études
et de formations, on constate que l’adolescence s’étale sur une période beaucoup
plus longue qu’autrefois -- et par les deux bouts. C’est-à-dire que l’adolescence commence plus
tôt et dure beaucoup plus longtemps. Il
n’est pas rare de rencontrer aujourd’hui des jeunes de 25 ans, peut-être très
cultivés, et ayant fait beaucoup d’expériences dans plusieurs domaines, mais
n’ayant pas la maturité qu’avait souvent un jeune de 17 ou 18 ans il y a une
quarantaine d’années. Par ailleurs,
dans d’autres continents, on constate que les jeunes vivant dans des situations
de guerre ou dans d’autres situations de misère matérielle ont souvent, à
un âge encore très jeune, une grande maturité, même s’ils n’ont pas eu la
chance d’étudier beaucoup.
Tout cela concerne une première question : à partir
de quel âge peut-on entrer dans la vie monastique ? Il y a une autre question : jusqu’à quel
âge peut-on entrer dans la vie monastique ? Certaines communautés déterminent
un âge limite – parfois assez jeune – 35 au 40 ans, par exemple (ce qui est
souvent le cas de communautés n’ayant pas de problème de recrutement...).
D’autres communautés mettent la barre à 60 ou 65.
Ici encore il me semble qu’on ne peut établir un chiffre absolu. L’important est de savoir si la personne qui se présente au monastère
est capable d’adopter une attitude de disciple. Ce qui ne veut pas dire faire abstraction de
toute l’expérience humaine et spirituelle et de toutes les connaissances qu’elle
peut avoir acquises, mais bien se laisser initier à une voie spirituelle nouvelle.
Certains ont encore cette attitude à 65 ou 70 ans (et plus...) ;
d’autres ne l’ont pas à 35 ou 40 ans... ou ne l’ont jamais eue.
Être capable de se constituer disciple, quel que soit son âge, est
essentiel à la vie monastique.
Au fond la véritable question est : « à quel âge
Dieu peut-il appeler á la vie monastique ? » et à cette question Dieu seul peut répondre.
Et nous savons que, concrètement, il appelle à tout âge. Pour nous, la seule chose que nous pouvons
faire, lorsque quelqu’un se présente au monastère, est de nous efforcer de
voir, quel que soit son âge, s’il cherche vraiment Dieu, et s’il est capable
de vivre la forme de vie de la communauté où il se présente, sous une règle
et un abbé. À mon avis, cette capacité
d’accepter pleinement la communauté où l’on veut entrer, sa règle de vie et
le ministère de l’abbé est le signe par excellence d’une vocation monastique
quel que soit le petit ou le grand nombre des années.
De plus, la vocation n’est pas une chose que l’on reçoit
une fois dans sa vie, à un moment déterminé.
C’est un appel constant que Dieu nous fait tout au long de notre vie.
Et c’est pourquoi, quel que soit notre âge, nous devons être sans cesse
à l’écoute de cet appel que Dieu nous fait sans cesse, nous constituer chaque
jour disciples du Christ en nous mettant à l’école de l’Évangile et nous constituer
également disciples de cette « école du service du Seigneur » établie
par Benoît dans sa Règle, telle qu’elle est vécue dans notre communauté.