14 octobre 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

De la façon de recevoir les frères (RB 58) (suite)

 

 

Nous avons déjà vu comment, selon RB58, lorsqu’un candidat se présente au monastère, on l’éprouve d’abord pour s’assurer du sérieux de son propos ; et comment, durant l’année de noviciat il est amené à bien prendre conscience de la nature de la forme de vie chrétienne qu’il désire entreprendre et à exprimer très clairement sa volonté de s’y engager d’une façon stable.  Il est alors reçu dans la communauté au cours d’une célébration liturgique décrite par Benoît dans les versets suivants du même chapitre 58 (vv. 17sq).

 

La célébration se fait dans l’oratoire, que Benoît a déjà décrit comme un lieu où l’on ne fait rien d’autre que ce qu’indique son nom  oratorium (RB52).  Le rituel que décrit Benoît dans ces versets est l’explicitation de la mention antérieure (v. 14) : « il sera reçu dans la communauté ».  Il s’agit donc d’une action importante où aussi bien toute la communauté que le profès sont impliqués.  Dieu et ses saints sont pris à témoin.  La promesse est faite devant tous les frères (coram omnibus) et devant Dieu et ses saints (coram Deo et sanctis eius).  Si bien que s’il arrivait au moine d’agir à l’encontre de ce qu’il promet, cela reviendrait à se moquer de Dieu.  Ce qui serait une moquerie de Dieu serait non seulement l’abandon de la vie monastique, mais toute infidélité à ses promesses.

 

Quelles sont ces promesses ?   Le moine promet sa stabilité ; il promet de vivre selon une nouvelle conversatio et enfin il promet l’obéissance.  De nouveau nous avons ici les trois éléments fondamentaux du cénobitisme bénédictin : la communauté, la règle et l’obéissance à un abbé.

 

Cette démarche, qui est essentiellement spirituelle, acquiert au cours du rituel de profession, une dimension visible et sacramentelle.  La promesse est exprimée dans un document écrit que le moine rédige de sa propre main, ou qu’en tout cas il signe s’il est illettré,  Sont pris à témoin les saints dont les reliques sont en ce lieu ainsi que l’abbé de la communauté.  Ce document est déposé sur l’autel par le novice, qui s’offre ainsi lui-même avec le pain et le vin du sacrifice. 

 

Conformément à la structure de tout sacrement – ou sacramental – qui comporte action et parole, ce geste est accompagné d’une formule que le novice chante trois fois et que la communauté reprend chaque fois : Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole et je vivrai, et ne me déçois pas dans mon attente.  En s’unissant à cette pétition, la communauté demande que le geste par lequel elle reçoit le candidat devienne le symbole et le sacrement de la réception par Dieu de l’offrande que fait de lui-même le novice.

 

Une communauté monastique est un groupe de frères qui se portent mutuellement dans leur recherche de Dieu et dans leur cheminement.  C’est pourquoi le novice après avoir chanté ce verset trois fois, se prosterne aux pieds de chacun des frères leur demandant de prier pour lui.  Et Benoît conclut alors : « À partir de ce jour il sera tenu pour membre de la communauté ».

 

Ce rituel de profession est à la fois simple et grandiose.  Il est très concret et spirituel à la fois.  Il s’agit d’un engagement envers Dieu, mais exprimé visiblement dans un engagement envers la communauté.  L’acceptation par Dieu est exprimée sacramentellement par l’acceptation par la communauté.  La promesse est faite oralement, mais elle est aussi fixée dans un document écrit.  Ce document a une valeur juridique, mais il est placé sur l’autel avec l’offrande du sacrifice de la messe.  Tout est conforme à l’économie sacramentelle, faite de paroles et de gestes.

 

Un dernier élément de ce rituel est le changement de vêtements.  Dans l’oratoire même, et donc au cours de la même célébration que l’on vient de décrire, on ôtera au nouveau profès les effets personnels dont il est vêtu et on le revêtira des habits du monastère.  À la lumière de ce qui a déjà été expliqué dans le chapitre sur le vêtement des moines, il ne s’agit pas ici, pour Benoît, de remplacer un « vêtement séculier » par un « habit monastique ».  L’habit que l’on donnait au moine n’était sans doute pas différent dans sa forme et probablement aussi sa couleur, de celui que portait le nouveau moine avant sa profession.  Il s’agit plutôt de se laisser dépouiller de toute propriété privée pour dépendre entièrement de ce qui est fourni par la communauté.

 

Si jamais le moine venait à quitter le monastère, ce qu’à Dieu ne plaise, on lui redonnerait ses effets propres ;  la cédule de profession, cependant, demeurerait au monastère, comme témoin de son engagement.

 

Armand VEILLEUX