7 octobre 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont
De la façon de recevoir les frères (RB
58) (suite)
Dans le chapitre de dimanche dernier nous avons vu comment
saint Benoît tient à ce qu’on s’assure de ce que cherche vraiment le candidat
qui se présente à la porte du monastère. Cherche-t-il vraiment Dieu ? Il est confié à un ancien de faire ce discernement au cours d’une
période d’un an qu’on appelle maintenant le « noviciat » (et qui
de nos jours est de deux ans). Nous
verrons maintenant comment est structurée cette année de probation.
Benoît divise l’année en trois périodes inégales :
deux mois, six mois et quatre mois. La
première période semble consister à s’habituer à la vie monastique, à la découvrir
à travers le rythme de la vie quotidienne. Ce n’est qu’après ces deux mois qu’on lit au candidat la Règle.
Au début de cette période on l’a tout simplement averti des exigences
générales de la vie chrétienne « les voies dures et âpres par lesquelles
on va à Dieu ». Il s’agit bien des exigences de toute vie chrétienne,
mais on lui donne la possibilité de les vivre dans le contexte monastique.
Cela me semble le sens de ce qu’on appelle aujourd’hui le postulat
(ou même des stages faits en communauté avant d’entrer au postulat).
Ce n’est pas une période où l’on doit étudier et apprendre une foule
de choses sur la vie monastique, mais simplement une période où on doit la
vivre et voir si cette forme de vie chrétienne nous convient, si on est capable
de l’absorber par osmose. Cela prend
un peu de temps, et la durée de deux mois semble la durée idéale. Mon expérience avec les « stagiaires »
est que c’est durant le deuxième mois que les vraies questions se posent et
qu’il commence à devenir assez clair aussi bien pour le candidat que pour
la communauté, si ce genre de vie lui convient.
Benoît prévoit donc qu’au bout de ces deux mois, le candidat
est appelé à « promettre de persévérer dans sa stabilité ». On retrouve
en cette brève phrase trois notions complémentaires : d’abord celle de « stabilité », qui
a chez Benoît une certaine connotation militaire – tenir ferme devant le danger
--, puis celle de « persévérer » dans cette stabilité, et enfin
la « promesse » de persévérer.
Jusqu’à maintenant il ne s’est agit que de discernement de part et
d’autre. Maintenant il doit y avoir un premier engagement,
une promesse de la part du candidat de vouloir s’insérer de façon stable dans
la vie monastique qu’il a appris à connaître un peu en la vivant. C’est alors qu’on peut lui lire pour la première
fois la Règle.
Comme nous l’enseigne l’herméneutique moderne, il n’y a
pas de « compréhension » d’un texte sans la présence d’une certaine
« pré-compréhension ». Ce
n’est que si l’on connaît d’une façon expérientielle, au moins initiale, une
réalité, qu’on peut comprendre un texte qui en parle. C’est la raison pour laquelle les grands textes fondateurs de la
tradition monastique ne peuvent être compris en profondeur que par ceux qui
ont déjà une certaine connaissance vécue des réalités dont ils parlent.
Benoît prévoit aussi qu’on lise alors la Règle au candidat
en entier. En effet, chacun
des éléments de la Règle n’a de sens que s’il est replacé dans le contexte
spirituel de l’ensemble de la Règle. Lorsque nous lisons un chapitre de la
Règle par jour, cela a du sens pour nous parce que nous avons déjà lu et entendu
la Règle en son entier plusieurs fois et pouvons ainsi comprendre, quoique
d’une façon toujours nouvelle, chaque chapitre en l’interprétant à la lumière
de l’ensemble. Pour celui qui vient
de commencer à vivre la vie monastique il est nécessaire d’en avoir très tôt
une lecture complète.
Après cette lecture Benoît veut qu’on dise au candidat :
« Voici la loi sous laquelle tu veux militer. Si tu peux l’observer, entre, sinon, retire-toi
librement ». On trouve ici plusieurs
éléments marqués d’une grande sagesse. On a déjà dit au candidat quelles sont les exigences fondamentales
de la vie chrétienne. Ce sont là des
exigences absolues pour tout Chrétien. Mais ni la vie monastique, ni la Règle selon laquelle elle est vécue,
ne sont des exigences absolues. C’est
une voie entre d’autres d’arriver au but. On doit se sentir bien libre de l’assumer ou
non. Et on ne doit l’assumer que si
on peut la vivre. « Si
tu peux, entre ; si tu ne peux pas, retire-toi ». Cela revient à ce que je disais la semaine
dernière : Le discernement, à cette
étape, consiste à savoir ce que veut et ce que peut le candidat.
Une fois cette lecture de la Règle faite et cette promesse
émise, commence une période plus longue, de six mois, au cours de laquelle
se fait l’essentiel du discernement avec le père spirituel et de l’apprentissage
de la vie monastique. Durant cette période ce qui avait été assimilé par osmose
durant les deux premiers mois prend son sens au contact de la Règle.
En réalité ces six mois et les quatre mois suivants constituent en
quelque sorte une seule période d’initiation et de discernement.
Rien ne les distingue l’une de l’autre.
Cependant l’expérience a montré à Benoît qu’il est utile, au bout de
six mois, de lire une deuxième fois la Règle. Pourquoi ? « Pour
qu’il sache à quoi il s’engage » (ut sciat ad quod ingreditur). Toujours cette même préoccupation d’un engagement
libre et lucide.
Finalement, après les quatre derniers mois, on lit de nouveau
la Règle et le candidat peut être reçu dans la communauté. À quelles conditions ? – S’il promet d’observer
tout ce qui se trouve dans cette Règle et tout ce qui lui sera commandé –
conformément à cette Règle. Cependant,
même après ce long discernement, cet engagement ne doit pas être fait à la
légère. C’est un engagement que seul
le candidat lui-même peut faire. Il doit donc le faire « après avoir délibéré avec lui-même »
(habita secum deliberatione). De
telles décisions, qu’on est en définitive les seuls à pouvoir prendre, sont
les moments privilégiés de solitude dans la vie d’une personne. Cette solitude est beaucoup plus vraie et exigeantes
que toutes les formes extérieures de solitude.
En bon Romain, Benoît ne peut manquer alors de rappeler
au candidat qu’une fois qu’il a fait cette promesse, après une telle préparation
et une telle délibération, il ne lui sera plus permis de se défaire du joug
de la Règle.
Tout cela peut nous sembler une approche bien terre-à-terre
et juridique. Son sens mystique est
exprimé dans la partie suivante du chapitre 58, où Benoît décrit le rituel
liturgique par lequel se célèbre l’incorporation du nouveau moine à la communauté.
L’ouverture mystique est toujours là, chez Benoît. Mais il ne court-circuite
jamais le processus humain préparatoire.
Il faut d’abord assurer les bases psychologiques et sociales, pour
que l’élan mystique soit authentique.
Armand VEILLEUX