30 septembre 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

De la façon de recevoir les frères (RB 58)

 

            Avec le chapitre 58 commence une nouvelle section de la Règle où Benoît reprend d’ailleurs plusieurs thèmes déjà traités.  On sent que cette partie de la Règle, rédigée à une époque plus tardive que ce qui précède, est le fruit de la sagesse engendrée par une longue expérience.  Ces chapitres traitent de l’incorporation de nouveaux membres à la communauté (58-62) et du service pastoral de l’abbé et de son prieur (63-65).  Aujourd’hui nous considérerons le chapitre 58 qui traite de la façon de recevoir de nouveaux frères qui se présentent au monastère pour se joindre à la communauté.

 

            Le premier principe énoncé par Benoît est qu’il ne faut pas les recevoir trop facilement, mais qu’il faut éprouver sérieusement l’esprit et la volonté des candidats.  Cette attitude ne s’explique pas simplement du fait qu’il y aurait eu du temps de Benoît de nombreuses vocations, et qu’on pouvait se permettre d’être très exigeant et de faire un bon choix, ne fût-ce que pour ne pas se laisser inonder de nouvelles recrues.  En réalité le principe est vrai pour tous les âges, quel que soit le nombre de candidats qui se présentent.  Cela découle de la nature même d’une communauté monastique.

 

            Une communauté monastique n’est pas une institution destinée à remplir une tâche précise, soit dans l’Église soit dans la société.  Une communauté de vie apostolique qui a mis sur pied une grande école ou un grand hôpital ou qui a assumé le soin de nombreuses paroisses, a besoin d’un nombre soutenu de vocations pour continuer ces tâches.  Une communauté monastique est constituée de personnes que Dieu a réunies pour faire de leur communion le lieu et la manifestation de sa Présence.  Cela se réalise, que la communauté soit composée de cent moines, ou de cinq moines ou de cinq cent moines.  Le moine désire évidemment que la communauté qu’il aime continue d’exister, mais rien ne doit le pousser à essayer d’ « attirer » de nombreuses vocations.  Qu’elles soient nombreuses ou non dépend de la volonté de Dieu.  Évidemment toute communauté a le devoir de faire en sorte que les vraies vocations qui se présentent puissent s’intégrer en son sein et se développer.

 

            Toute la préoccupation de Benoît en ce début du chapitre 58 de sa Règle est que les vocations soient « vraies ».  Mais qui peut dire que quelqu’un a ou non une vocation ?  Je me défie grandement des « directeurs  spirituels » qui prétendent pouvoir dire à un jeune homme ou à une jeune femme : « Tu as la vocation à telle ou telle forme de vie » ou « Dieu t’appelle à ceci ou cela... » Quel orgueil !  Les « directeurs » qui parlent avec une telle assurance sont des personnes dangereuses ; et d’autres doivent ramasser plus tard à la petite cuillère les résultats de leur prétention.  Benoît est beaucoup plus humble.  Il croit que la seule chose dont on puisse s’assurer au point de départ est ce que cherche le candidat qui se présente et s’il est prêt à en payer le prix.  Et c’est ce dernier élément qui vient en premier : le candidat désire-t-il assez fortement ce qu’il désire pour persévérer même si des difficultés sont mises sur son chemin.  On veut savoir s’il a l’étoffe voulue.  En effet les difficultés un peu artificielles auxquelles on le soumet (quelques jours d’attente à la porte, rebuffades, etc...) sont bien peu de choses à côté des difficultés réelles de la vie spirituelle qui viendront plus tard.

 

            Une fois admis, le candidat est confié à un ancien.  Benoît ne parle pas de noviciat et de père-maître.  En un mot, il ne parle pas de structures.  Celles-ci existent, bien sûr, mais elles sont une conséquence.  Il parle tout d’abord de « communauté », car le candidat qui est admis forme dès le point de départ une communauté avec ceux qui sont à la même étape que lui de l’incorporation dans la vie monastique.  Et cela est exprimé d’une façon fort subtile.  En effet, depuis le début on parlait du candidat au singulier.  À partir du moment où il est admis, on passe au pluriel.  En effet « on lui concèdera l’entrée et il sera quelques jours dans la maison des hôtes.  Ensuite il aura place dans la maison où les novices méditent, mangent et dorment ».  Il est introduit dans une communauté de novices.

 

            Bien plus, les premiers mots que dit Benoît au sujet de celui que nous appelons le « maître des novices » consistent précisément à décrire son rôle face à la communauté des novices : « On leur affectera un ancien, apte à gagner les âmes, qui veillera sur eux avec une grande attention.  Tout comme l’abbé, pour Benoît, n’est pas une sorte de gourou réunissant autour de lui de nombreux fils spirituel, mais bien, en tout premier lieu, le « père d’une communauté » ayant bien sûr une attention personnelle pour chacun des membres de cette communauté ; de même, son « père maître » n’est pas simplement l’ « accompagnateur » de chacun de ses novices pris individuellement mais il est d’abord le père d’une communauté de novices.  Une fois ce principe établi, Benoît revient au « singulier », dans sa syntaxe et parlera jusqu’à la fin du chapitre de la façon de se comporter à l’égard d’un candidat durant tout le temps de sa probation.

 

            Benoît ne demande pas au maître des novices d’avoir la prétention de pouvoir dire si le novice a ou n’a pas la vocation.  C’est Dieu qui appelle et Lui seul sait qui il appelle !  Ce que le Père Maître doit essayer de découvrir – et il doit le faire avec grand soin – c’est ce que le novice cherche vraiment et les dispositions qu’il manifeste.

 

            La première chose – et en réalité l’unique chose – dont il faut s’assurer est celle-ci :  ce novice cherche-t-il vraiment Dieu ? Cela n’est évidemment pas facile à déterminer.  Mais s’il y a chez lui une réelle recherche de Dieu elle se manifestera par son empressement (sollicitudo) aux aspects essentiels de la recherche monastique de Dieu : est-il empressé à la prière commune (opus Dei), et à la recherche commune de la volonté de Dieu (obéissance) ; et est-il prêt à payer le prix en acceptant les humiliations (opprobria) qui ne peuvent manquer dans une vie communautaire normale.

 

            On peut arriver graduellement à la conviction que quelqu’un cherche vraiment Dieu en le voyant agir, de la façon qu’on vient de décrire, mais on ne peut en être convaincu que si la personne en question nous a permis d’entrer un peu dans son intimité et nous a permis de lire un peu dans son coeur.  Et c’est pourquoi la seule qualité que Benoît mentionne comme essentielle au père maître, est qu’il soit « apte à gagner les âmes » .

 

            Ce qui ne peut manquer de nous frapper, à une époque où nous avons élaboré de nombreux moyens (qu’ils soient psychologiques ou très « spirituels ») pour discerner les vocations, c’est que Benoît n’est aucunement préoccupé de « discerner la vocation » (comme nous disons aujourd’hui).  Il n’a pas la prétention qu’on puisse le faire – cela est le secret de Dieu.  Il est plutôt préoccupé – et même très préoccupé -- de découvrir ce que le novice cherche vraiment, ce qu’il veut, et s’il est prêt à payer le prix pour y arriver. J’ai l’impression que si l’on revenait à cette approche on aurait moins souvent, dans nos communautés, la surprise et la tristesse de voir parfois partir des personnes dont nous étions sûrs qu’elles « avaient la vocation » !

 

            La prochaine fois, nous verrons comment Benoît amène le candidat à se rendre bien compte lui-même de ce qu’il veut.

 

 

Armand VEILLEUX