Chapitre
à la Communauté de Scourmont
22 juillet
2001
La Réception des Hôtes (RB
53)
Je vois
comme une coïncidence tout à fait intéressante le fait que, en poursuivant
notre commentaire de la Règle de saint Benoît chaque dimanche, nous en sommes
arrivés au commentaire du chapitre sur la réception des hôtes, précisément
en ce 16ème dimanche ordinaire de l'année "C" où nous
avons comme première lecture à l'Eucharistie le beau récit de la visite des
trois anges à Abraham au chêne de Membré qui a inspiré la très belle icône
de la Trinité de Roublev. Et l'Évangile
d'aujourd'hui nous raconte la réception de Jésus par Marthe, dans sa maison
de Béthanie.
L'hospitalité a toujours été considérée
comme un service très important que tout monastère doit rendre à l'Église
et à la Société, tout d'abord parce que c'est non seulement une valeur chrétienne
fondamentale, mais aussi une valeur humaine essentielle dans toute société
humaine. L'être humain, créé à l'image
de Dieu, est fait pour vivre en société, et il n'y a pas de vie sociale, sans
accueil et sans ouverture à l'autre.
Ce chapitre de la Règle de saint Benoît
est élaboré dans le contexte culturel du VIème siècle, qui est évidemment
très différent de celui d'aujourd'hui. Il serait inutile de vouloir s'arrêter à tous les détails prévus
par Benoît. Comme pour tous les autres
chapitres de la Règle, il importe plutôt d'en percevoir les principes fondamentaux,
qui valent pour tous les temps et tous les lieux. D'ailleurs une analyse de ce chapitre montre
assez facilement qu'il a été écrit en deux temps. La première partie (vv. 1-15) décrit l'esprit et les formes essentielles
de l'hospitalité monastique. Dans
une deuxième partie (vv. 16-24) sans doute écrite plusieurs années plus tard,
l'auteur est plus soucieux de voir à ce que l'hospitalité ne trouble pas trop
le rythme et le style de la vie communautaire. Cette deuxième partie est certes plus liée
à des problèmes concrets qui se sont manifestés dans une situation historique
précise. Arrêtons-nous surtout aux
grands principes énumérés dans la première partie.
Le premier principe est proclamé avec
une certaine grandeur dans le premier verset: "Tous les hôtes qui arrivent
seront reçus comme le Christ, car il dira un jour: J'ai été votre hôte
et vous m'avez reçu." La
vision de foi à la base de cette attitude s'enracine dans le chapitre 25 de
Matthieu: "J'ai eu faim et vous
m'avez donné à manger, j'étais nu et vous m'avez vêtu, je suis venu chez vous
et vous m'avez reçu." Et cette vision explique tout le rituel qui suit:
la prière, le baiser de paix, la lecture de l'Écriture, le lavement
des pieds, le repas en commun.
Le moine vient au monastère pour y
rencontrer Dieu dans la solitude. Dans
la mesure où c'est vraiment Dieu qu'il cherche, il saura voir le Christ dans
le visiteur qui se présente au monastère et saura agir à son égard en conséquence,
partageant avec lui ce qu'il a de plus précieux: son silence, sa solitude,
sa prière, sa recherche de Dieu. Ce
n'est que si cette vision de foi manque, que la venue de visiteurs deviendra
une source de distraction, de détente ou de fuite, à son propre détriment
comme à celui des visiteurs.
Ce chapitre de la Règle est long et
riche, et pourrait nous retenir durant plusieurs semaines. Contentons-nous pour ce matin d'en relever
quelques aspects plus significatifs. Tout
d'abord Benoît demande de recevoir le visiteur avec une profonde humilité.
Les moines ne sont pas des chrétiens d'une classe supérieure offrant
magnanimement l'hospitalité à de pauvres laïcs en recherche.
Ils sont eux-mêmes des chercheurs de Dieu acceptant de poursuivre leur
route avec d'autres chercheurs de Dieu. Une
expression que je trouve très belle dans ce chapitre est celle où Benoît demande
aux moines de manifester aux visiteurs une "grande humanité" (omnis
exhibeatur humanitas). On attend
de quelqu'un qui s'efforce de vivre en communion avec Dieu, qu'il soit d'abord
pleinement et bellement "humain".
Autre dimension importante de l'hospitalité
bénédictine, c'est son aspect communautaire. Les moines bénédictins ne sont pas des ermites
vivant en commun et recevant chacun leurs visiteurs personnels. Ce sont des cénobites. Ils ont choisi de chercher Dieu en communauté.
Même si tel ou tel visiteur peut avoir des raisons de vouloir rencontrer
tel ou tel frère, c'est une communauté monastique
qu'ils viennent visiter et c'est par une communauté qu'ils sont reçus. Tout le rituel de l'accueil décrit par Benoît
souligne abondamment cette dimension communautaire. Si un moine a un besoin personnel de fréquenter
l'hôtellerie pour combler sa solitude, ou plutôt son isolement, il est peu
probable que ses contacts seront profitables ni à lui ni aux visiteurs.
Si, par ailleurs, il a reçu dans la foi le service des hôtes au nom
de la communauté, ce service pourra devenir une source de communion avec Dieu
et pour lui et pour les visiteurs, à travers le sacrement de la communion
entre des chercheurs de Dieu venant d'horizons différents.
Armand VEILLEUX