8 juillet 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

De l'oratoire du monastère (RB 52)

 

            Le chapitre 52 de la Règle de saint Benoît a comme titre : "De l'oratoire du monastère".  Dans l'usage contemporain le mot "oratoire" a pris un sens assez dilué.  Selon le dictionnaire, l'oratoire est une "petite chapelle" ou "le lieu de prière d'une résidence privée"– d'un château par exemple – ou encore d'une communauté religieuse. À l'époque de Benoît, le mot avait encore son beau sens étymologique de "lieu où l'on prie". 

 

            Nous avons déjà vu à plusieurs reprises à quel point le "lieu" a de l'importance pour Benoît.  Le moine vit dans une communauté et cette communauté est enracinée dans un lieu concret.  Le nouveau venu, à chaque étape de sa formation promet sa stabilité dans ce lieu.  Et, à l'intérieur du monastère, il y a des lieux prévus pour les diverses activités de la journée monastique : des lieux pour travailler, pour étudier, pour manger, et aussi un lieu où la communauté se réunit pour prier en commun.

 

            Il serait erroné de penser que, pour Benoît, l'oratoire est le seul lieu de prière du moine.  L'ensemble de la Règle montre bien que, pour Benoît comme pour toute la grande tradition monastique – antérieure et postérieure à lui – l'obligation fondamentale du moine en ce qui concerne la prière, est celle de la prière continuelle.  De plus, au chapitre 19 de sa Règle, consacré à la façon de psalmodier, il avait affirmé que "Nous avons la certitude que Dieu est partout présent."  Benoît connaissait aussi, évidemment, la parole de Jésus:  "Quand tu veux prier, entre dans ta cellule, ferme la porte, et prie ton Père dans le secret".  La solitude du coeur et de la cellule doit être le lieu privilégié de la prière personnelle du moine.  Selon saint Grégoire le Grand (Dialogues 2,35) Benoît avait coutume de prier dans sa cellule, en regardant le ciel par la fenêtre, avant que les moines ne se lèvent pour les Vigiles.

 

            La première chose que rappelle Benoît dans ce chapitre c'est que l'oratoire doit être ce que signifie son nom:  il doit être un lieu où l'on prie et où l'on ne fait normalement rien d'autre.  Psychologiquement, cette consécration d'un lieu à une occupation précise est très importante.  De nos jours, dans les paroisses, mais aussi parfois dans les monastères, par suite de restriction budgétaires ou autres raisons pratiques, on utilise le même espace pour beaucoup d'occupations diverses selon les moments de la journée.  Cela est souvent nécessaire pour des raisons pratiques, mais l'on perd alors une dimension importante.  Si l'oratoire – l'église – est le lieu où l'on prie, et rien d'autre, dès qu'on y entre, on se trouve dans une atmosphère et un esprit de prière.  Le lieu même nous conditionne, et cela est beaucoup plus efficace que toutes les "méthodes" de prière ou de concentration.

 

            De plus, pour Benoît, l'oratoire est essentiellement le lieu de la prière commune.  Ce qui fait que dès qu'on y entre on est psychologiquement dans l'attente de la communauté.  Dans certaines communautés monastiques, l'on semble considérer que l'oratoire est d'abord le lieu de la prière privée où l'on se réunit aussi plusieurs fois par jour pour prier en commun.  Cette tradition est certes légitime, et donne à une communauté une image visible de "communauté priante", et cela peut évidemment être, surtout pour les jeunes qui arrivent, un encouragement à la prière.  Mais il est tout aussi légitime de considérer, comme le fait Benoît, que l'oratoire est avant tout le lieu de la prière commune.  Lorsque la célébration de l'office est terminée, tous sortent "dans le plus profond silence".  Ce silence n'a pas simplement pour but, comme on pourrait facilement le penser, de permettre à ceux qui veulent rester à l'oratoire, de ne pas être dérangé.  Ce silence est lui-même prière.  Les frères se sont réunis à l'oratoire pour mettre en commun leur prière et ils en ressortent plus enracinés dans la prière continuelle qu'il doivent poursuivre à travers toutes les occupations de la journée.  Ce silence est la prière qu'ils portent avec eux en retournant à leurs occupations.

 

            Par ailleurs Benoît prévoit que tel ou tel frère puisse vouloir désirer demeurer à l'oratoire pour y poursuivre là sa prière personnelle.  Benoît lui demande de prier alors en silence, dans le secret de son coeur, dans les larmes de componction et avec l'intensité du désir de son coeur (intentione cordis), et non pas à haute voix, de façon à ne pas déranger un autre frère qui voudrait faire la même chose.

 

            Il ne faudrait pas chercher dans ce chapitre tout l'enseignement de Benoît sur la prière personnelle.  Ce qui intéresse Benoît ici c'est de décrire l'attitude du moine par rapport au lieu du monastère consacré à la prière commune et qui peut servir aussi à un moment plus intense de prière personnelle.  N'oublions pas qu'il a déjà parlé longuement de l'attitude spirituelle à avoir durant la psalmodie et de la révérence à tenir dans la prière, aux chapitres 19 et 20 de sa Règle, où il avait dit, entre autres que la prière personnelle en public doit être "brève et pure, sauf à la prolonger, si l'on est touché par l'inspiration de la grâce divine". 

 

            De nos jours, on sent souvent le besoin de méthode et de techniques de prière.  Tant mieux si elles aident.  L'approche de Benoît est plus simple : "Si quelqu'un veut prier au plus intime de lui-même, qu'il entre simplement et prie."  L'expression "qu'il entre... et prie" (intret et oret) qui reprend les paroles de Jésus (Matt 6,6) signifie sans doute, dans l'esprit de Benoît, entrer dans son propre coeur (secretius) qu'entrer physiquement dans l'oratoire.

 

            Qu'on reste à l'oratoire ou non après les Offices, qu'on s'y rende ou non avant les Offices, ce qui demeure le plus important c'est de pénétrer toujours plus profondément dans son propre coeur pour y prier notre Père dans le secret, dans une prière qui doit devenir aussi continuelle que possible, tout en étant portée et scandée par les moment de prière commune à l'église.

 

Armand VEILLEUX