27 mai 2001 - Chapitre donné à la Communauté de Scourmont
Le carême toute l'année... (RB
49)
Dans mon commentaire hebdomadaire de
la Règle de saint Benoît, nous en sommes au chapitre 49, qui traite de l'observance
du carême. À première vue, ce
n'est pas un sujet très adaptée pour la dernière semaine du temps pascal,
et j'ai pensé d'abord omettre de commenter ce chapitre aujourd'hui, d'autant
plus que j'en ai parlé au début du carême.
Mais j'ai d'abord voulu relire ce texte, pour voir ce qu'il contient
qui vaut même en dehors du carême, et j'ai décidé de ne pas omettre de le
commenter aujourd'hui.
Arrêtons-nous tout d'abord à l'affirmation
initiale bien connue selon laquelle "un moine doit en tout temps garder
l'observance du carême". Cela
veut-il dire que le moine devrait idéalement jeûner et se mortifier dans les
larmes et la tristesse tout au long de l'année? – Non ! Benoît dit que, puisque
tous n'ont pas cette force (virtus), il exhorte ses moines à veiller
d'une façon spéciale durant le carême à certaines choses auxquelles ils devraient,
dans la mesure du possible, veiller durant toute l'année. C'est choses sont évidemment celles que Benoît
considère comme les éléments essentiels de la vie monastique, comme d'ailleurs
de toute vie chrétienne.
Le premier élément, qui englobe tous
les autres, est la pureté de vie. Benoît
demande au moine de garder sa vie toute pure (omni puritate vitam suam
custodire) durant ces jours, de façon à effacer (diluere) la négligence
des autres temps. Le mot "pureté"
n'a pas ici de connotation sexuelle. Il s'agit de la pureté dans un sens beaucoup
plus général et profond, qui correspond à la simplicitas, au fait de
n'avoir qu'une direction dans sa vie, un amour, une préoccupation – d'être
unifié et d'aller droit au but sans se laisser disperser par les distractions
et les négligences.
Le verset suivant (v. 4) indique ce
qu'il faut faire, en tout temps, pour arriver à cette unité, simplicité ou
pureté de vie. Négativement cela veut
dire, évidemment, s'abstenir de tous les vices; positivement cela signifie utiliser les moyens tels que la prière,
la componction, la lecture et l'abstinence. Le contexte dans lequel Benoît mentionne ces éléments de l'ascèse
monastique montre bien qu'il ne sont que des moyens à utiliser pour arriver
à la pureté d'un coeur qui ne soit plus divisé ou dispersé.
Si, durant le carême, on utilise d'une
façon plus intensive ces "moyens", au-delà de ce qui est requis
par la Règle commune, ce doit être une décision personnelle libre (propria
voluntate), qui est une offrande faite à Dieu. En effet, la seule chose que nous avons à offrir
à Dieu c'est notre volonté, notre vouloir, notre amour, la simplicité ou pureté
de notre coeur. Et une telle offrande
ne peut se faire que dans la joie – une joie qui vient nécessairement de l'Esprit
Saint, Amour unissant le Père et le Fils : "Que chacun... offre quelque
chose à Dieu dans la joie du Saint-Esprit".
Benoît invite le moine à se priver
un peu plus, volontairement, durant ce temps, des choses dans lesquels il
peut facilement se disperser ou perdre quelque chose de la simplicité ou pureté
de son orientation (nourriture, boisson, sommeil, bavardage, plaisanterie)
– pourquoi ? – pour "attendre la sainte Pâque dans la joie du désir
spirituel".
Pour Benoît, toute la vie monastique
tend donc vers la joie – la joie d'un désir spirituel. Le moine doit être un être de désir, un être
toujours ouvert à la plénitude de vie qu'il ne peut que recevoir comme un
don gratuit. Et l'on ne peut exiger
un don; on ne peut que le désirer. Ce désir de la plénitude de vie, cette
aspiration à être de plus en plus transformé à l'image du Christ, ne peut
croître en nous que dans la mesure où diminue la soif de satisfaire nos besoins
secondaires.
Dans cette recherche d'une purification
de plus en plus grande, il y a place pour beaucoup d'illusion et même d'aberration,
ou en tout cas de vanité. C'est pourquoi
si, d'une part, Benoît insiste que tout effort particulier doit être un acte
vraiment personnel et volontaire (propria voluntate), il doit s'accompagner
de discernement. Ce discernement, dans le contexte d'une communauté
cénobitique consiste à obtenir la permission de l'abbé, qui exerce ainsi sa
paternité spirituelle. Et l'on peut
noter en passant que le contexte où est mentionné ici la "permission"
de l'abbé en dit beaucoup sur la conception qu'a Benoît de l'autorité et de
l'obéissance et donc aussi de la paternité spirituelle.
Il ne s'agit pas d'une décision arbitraire permettant ou non de faire
quelque chose, mais bien d'un discernement fait avec le moine
et portant sur une décision qui revient à celui-ci, et dans le but de l'aider
à atteindre la pleine pureté de son coeur.
En cette dernière semaine du Temps
Pascal, je vous souhaite à tous cette plénitude de la joie du désir spirituel.
Armand VEILLEUX