20 mai 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

L'Équilibre de la journée monastique (RB48)

 

 

            Les titres des chapitres dans la Règle de saint Benoît sont anciens, mais ils ne sont pas originaux.  La plupart sont assez justes, mais certains induisent un peu en erreur sur le contenu du chapitre.  C'est le cas du chapitre 48, intitulé "Du travail manuel quotidien", qui traite en fait non pas tant du travail comme tel, que de l'équilibre entre les trois éléments de la journée monastique:  la prière, le travail et la lectio.  Dans plusieurs des chapitres précédents Benoît a décrit en détail l'Office Divin;  il veut maintenant, dans ce chapitre, décrire comment les temps de travail et de lectio s'organisent autour des heures de l'Office, tout en tenant compte des saisons de l'année, avec les journées plus longues en été et plus brèves en hiver.

 

            J'ai déjà parlé à diverses reprises du travail dans la vie monastique (2 mai 1999 : "Le travail comme activité contemplative"; 12 septembre 1999 : "Travail, beauté, vie contemplative");  je ne m'y attarderai pas de nouveau ce matin.  J'ai aussi parlé plus d'une fois de la lectio.  Je me contenterai donc ce matin de relever quelques points particuliers de ce chapitre de la Règle.

 

            Lorsque Benoît dit "... à certaines heures les frères doivent s'occuper au travail des mains, et à certaines autres à la lectio divina", il ne faut pas entendre lectio divina dans le sens qu'on lui a donné à notre époque.  C'est-à-dire qu'il ne faut pas entendre le mot "lectio" comme désignant une activité humaine, celle de "lecture".  En effet, à l'époque de Benoît, et durant plusieurs siècles encore, l'expression lectio divina veut toujours dire la Parole de Dieu elle-même, l'Écriture, et non pas une activité humaine concernant la Parole.  Une traduction respectant le sens qu'avait cette expression à cette époque serait : "... à certaines heures les frères doivent s'occuper au travail des mains, et à certaines autres vaquer à la Parole de Dieu.   Vaquer à la Parole de Dieu peut être ou bien étudier les psaumes (ce que Benoît recommande de faire dans l'intervalle du matin, après les Vigiles) ou bien lire l'un ou l'autre Livre de l'Écriture, ou bien simplement répéter à voix basse (meditari) des passages de l'Écriture appris par coeur. 

 

            J'ai souvent fait remarquer à quel point le "rythme" est important dans la Règle de Benoît.  En lisant la description de la journée monastique dans ce chapitre 48, nous avons l'impression d'un rythme très rapide, où l'on passe sans cesse de la prière, au travail, à la lectio pour retourner à la prière, puis au travail, puis de nouveau à la lectio, etc.   Il n'est pas rare que, de nos jours, on trouve que ce découpage de la journée ne favorise ni un travail sérieux, ni une prière approfondie ni une lectio fructueuse.  Si c'est là notre attitude, c'est qu'on a oublié un élément important de la Règle de Benoît.  La journée monastique telle que conçue par Benoît, est comme une admirable tapisserie, dont l'Office Divin, le travail et la lectio sont les fils qui s'entrecroisent, mais ils s'entrecroisent sur une trame solide constituée par la prière continuelle.  Si le moine n'a pas atteint un certain degré de prière continuelle ou d'attention constante à la présence de Dieu en son coeur et en sa vie, toutes ces activités, y compris l'Office divin, seront des distractions, et le passage fréquent d'une activité à l'autre sera distrayant, sinon aliénant.  Par ailleurs, si le moine est arrivé à un certain degré de prière continuelle, ces diverses activités viendront tout simplement rythmer sa vie de prière, dans une sorte de symphonie ou de danse.

 

            Il est important, dès le début de notre vie monastique, d'apprendre à être aussi présents que possible à tout ce qu'on fait, sans se perdre dans rien de ce qu'on fait.  Dans la mesure où on y arrive, on peut reprendre sans difficulté une activité abandonnée quelques heures auparavant et la poursuivre sans avoir besoin de faire un effort excessif pour s'y replonger.   Un moment si bref soit-il, ne fût-ce que de cinq ou dix minutes, entre deux autres activités, peut alors être un moment de prière aussi bien qu'un moment d'étude ou de méditation, ou encore un moment de travail (sauf évidemment pour certains travaux manuels qui nécessitent de mettre en marche des machines ou des instruments complexes).

 

            Les rythmes ne sont pas les mêmes toute l'année.  Ils ne sont pas les mêmes non plus pour toutes les personnes.  Non seulement il y a des personnes en communauté qui ont des responsabilités particulières (p.e. le cellérier, le portier, les cuisiniers) qui leur imposent une répartition différente de leur temps et même un équilibre différent entre les temps consacrés à la prière et au travail; mais il y a aussi des personnes qui ne sont pas capables de passer beaucoup de temps à la lectio ou des activités intellectuelles.  Benoît prévoit qu'on leur procurera, même le dimanche, un travail qui, d'une part, ne sera pas trop lourd et, d'autre part, leur évitera de tomber dans l'oisiveté.  Car, ce qui compte, ce n'est pas une répartition mathématique de la journée, mais bien une vie de prière continuelle rythmée par diverses occupations qui la scandent, la supportent et la nourrissent.

 

            Enfin, notons que ce chapitre est encadré par deux petites phrases lapidaires  Il s'ouvre par ces mots: "L'oisiveté est ennemie de l'âme" et se termine, après la mention des frères faibles ou délicats, par la mention on ne peut plus bénédictine: "L'abbé prendra leur faiblesse en considération".