13 mai 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Encore quelques mots de l'Office Divin (RB 47)

 

            La série d'aspects pratiques de la vie monastique quotidienne dont Benoît a parlé aux chapitres précédents lui donnent l'occasion de dire encore quelques mots sur l'Office Divin.  Ce bref chapitre 47 traite de plusieurs choses:  a) du signal par lequel on appelle les moines à la prière commune, b) de l'imposition de certaines parties de l'Office (psaumes, antiennes, etc.) et c) des lectures qui y sont faites.  Benoît confie toutes ces choses à l'abbé ou à ceux à qui l'abbé les a confiées.  Il est clair qu'au moment où Benoît écrivait ce chapitre, il pensait à une petite communauté d'une douzaine de moines.  Dès que la communauté est plus grande, les choses demandent une organisation plus structurée;  mais les principes restent les mêmes.

 

            À l'époque où l'on ne disposait que de cadrans solaires, donner le signal pour chacun des Offices de la journée et de la nuit à l'heure appropriée devait être une tâche assez complexe.  Benoît tient cependant à ce que les Offices soient célébrés aux heures appropriées.  En effet, un rythme bien régulier dans l'alternance entre la prière commune et les autres éléments de la journée est un facteur important de paix et de tranquillité, et donc aussi de prière contemplative.  Celui à qui cette tâche est confiée doit être quelqu'un de "vigilant".  Le mot latin est sollicitus – un mot qui revient très souvent dans la Règle, soit comme adjectif soit sous sa forme nominative sollicitudo.  L'une des conditions pour être admis à la profession est d'être sollicitus pour l'Opus Dei.  C'est la même sollicitude qu'on demande ici du sonneur.

 

            Si le signal donné avant chaque Office rythme la journée de la communauté monastique, l'imposition des antiennes et des psaumes rythme chaque Office.  Cela soit aussi se faire dans un ordre établi, et non à l'improviste.  Quiconque a quelque chose à imposer à l'Office doit toujours se souvenir que son rôle est de permettre à l'ensemble du choeur de se lancer avec ensemble dans un pièce musicale ou une récitation.  Il ne s'agit pas d'un solo, auquel le choeur peut se joindre ou non, tant bien que mal, mais d'une invitation permettant à tout le monde, y compris le soliste, de partir ensemble, dans un deuxième temps.  Chaque choeur monastique développe son propre rythme: la dernière note de l'imposition est normalement doublée.  Elle peut être suivie d'un silence à peine perceptible ou non.  L'important est que tous, chantre et choeur respectent un rythme commun qui, avec le temps, est devenu celui de cette communauté concrète. Un soliste peut se permettre d'être un peu bohème, mais pas celui qui donne le mouvement au choeur.

 

            Les remarques que fait Benoît sur la façon d'imposer les antiennes et les psaumes l'amènent à faire une observation plus générale, qui vaut aussi pour les lectures qui sont faites au cours de l'Office (et cela vaut évidemment pour les lectures faites au réfectoire).  Ces lectures, dit Benoît, doivent être faites avec humilité, sérieux et respect.  L'humilité dont il est question ne consiste pas simplement à éviter de s'enorgueillir parce que l'on pense bien lire.  Le respect n'est pas simplement le respect des auditeurs.  Il s'agit en tout premier lieu de l'humilité et du respect à l'égard du texte, surtout si ce texte est la Parole de Dieu.

 

            Le lecteur doit s'effacer le plus possible devant le texte et son contenu.  Il doit évidemment avoir bien compris le texte, afin de le lire de façon compréhensible.  S'il s'agit d'un texte fort qui engendre chez lui des sentiments profonds (soit de douleur, de joie, d'admiration, de surprise), il doit absolument éviter de transmettre ses propres émotions, et laisser le texte opérer librement sur les sentiments des autres.  C'est souvent la tentation des lecteurs-novices  de déclamer une lecture,  comme s'il s'agissait d'une pièce de théâtre, en révélant toutes leurs émotions personnelles.  Les sentiments du lecteur ainsi exprimés deviennent alors un obstacle entre le texte et l'auditeur.  Plus un texte est fort et chargé d'émotions, plus il faut le présenter à l'auditeur de façon pure et sans aucun revêtement.   Les sentiments de l'auditeur sont alors secoués par la Parole même, dans toute sa force et sa nudité et non par les sentiments du lecteur.   Je crois que c'est cela dont parle Benoît lorsqu'il demande qu'on lise de façon à édifier les auditeurs.  Le mot "édifier" a ici son sens premier et fort de "construire" et non son sens second et un peu mièvre, de "provoquer de bons sentiments".

 

            Pour qu'on Office soit beau et priant, il n'est pas nécessaire qu'une communauté ait de grands talents musicaux.  (Tant mieux si elle en a, évidemment !) Ce qui est essentiel c'est que tous et chacun entrent dans un véritable rythme de prière, où le maître d'orchestre est la Parole elle-même, et où tous exercent leurs rôles respectifs dans un profond respect de cette Parole, et dans une attitude de profonde humilité devant celle-ci.

 

Armand VEILLEUX