6 mai 2001 – Chapitre à la Communauté de Scourmont
Compléments au code pénitentiel (RB 43-46)
Dans un chapitre précédent (26 novembre
2000) j'ai traité de ce qu'on peut appeler le "code pénitentiel"
de la Règle de saint Benoît. La partie essentielle de ce code se trouvait
dans les chapitres 23-30 de la Règle. Benoît en donne un complément dans les chapitres 43-46 qui traitent
de ceux qui arrivent en retard a la prière commune et de ceux qui se trompent
durant l'Office. Il n'y a pas lieu de commenter en détails les préceptes que
comportent ce chapitres, mais bien d'en saisir l'esprit.
La compréhension de ces chapitres supposent
un sens profond de la vie communautaire et un grand respect de la communauté.
Dès le début du chapitre 43 Benoît énonce un principe fondamental:
"Rien ne passera avant le service de Dieu (opus Dei), c'est-à-dire
la prière commune. Il ne s'agit pas
simplement de donner la première place à la prière, car le moine doit s'efforcer
de prier sans cesse, tout au long de la journée et à travers toutes les occupations
de la vie quotidienne. Mais à certaines
heures il se réunit avec ses frères pour exprimer publiquement cette prière.
Et c'est cet ensemble de moments de prière commune, répartis tout au
long du jour et de la nuit que Benoît appelle "oeuvre de Dieu".
On doit s'y rendre dès qu'on entend
le signal. Le signal, donné ordinairement
par le son de la cloche a son importance. Si l'on veut être tout entier à ce qu'on fait,
on ne doit pas être constamment à se demander quelle heure il est et à quel
moment il faudra cesser telle occupation pour passer à une autre. Se laisser guider par le signal de la cloche
donne une liberté d'esprit et permet de se donner totalement à ce qu'on fait
– ce qui est une attitude contemplative.
En effet, l'attitude contemplative ne consiste pas à "penser"
à Dieu ou aux choses spirituelles au cours de ses occupations, mais d'être
totalement "présent" à tout ce qu'on fait pour Dieu et au nom de
Dieu. C'est l'a l'intériorité
la plus vraie.
Si l'on est en train de faire un travail
très complexe ou très technique, la tentation est souvent grande de vouloir
terminer telle opération commencée pour ensuite courir à l'Office et arriver
en retard. La recommandation de Benoît
garde toute son actualité: "À
l'heure de l'office divin, dès qu'on aura entendu le signal, on laissera tout
ce qu'on avait en main et l'on accourra en toute hâte".
Benoît prévoit toute une série de gestes
de "réparation" que doit faire le moine qui arrive en retard occasionnellement
ou de façon répétée aux offices – et aussi aux repas, qui ont aussi un caractère
sacré. Pour Benoît il ne s'agit pas
de "punitions" imposées mais de "satisfactions" que doit
faire celui qui a manqué de respect à la communauté.
Nous avons depuis assez longtemps laissé tomber la plupart de ces gestes,
parce qu'ils ne correspondent plus beaucoup à la mentalité moderne, mais probablement
parce qu'on les concevait trop comme des "punitions". Or, il ne s'agit pas de punitions mais d'une façon de s'excuser
et de demander pardon. Il s'agit de
"bonnes manières" tout autant que de sens communautaire.
Benoît en profite pour traiter à nouveau
rapidement (au chapitre 44) de ceux qui, pour d'autres manquements plus sérieux
à la vie communautaire, ont été exclus de la prière commune et de la table
commune. Il utilise l'expression "excommunication"
qui n'a évidemment pas alors une connotation aussi dure que celle qu'on donne
aujourd'hui au mot. En cela aussi,
dans la ligne de toute la tradition monastique antérieure, il ne s'agit pas
d'abord d'une "punition", mais simplement de manifester visiblement
que quelqu'un s'est déjà séparé lui-même de la communion fraternelle par telle
ou telle attitude. Nous avons supprimé
depuis assez longtemps, un peu partout, le "chapitre des coulpes"
qui était devenu une sorte d'accusation. Il nous faut retrouver des moyens de manifester
à la communauté notre regret lorsque nous manquons à la communion fraternelle.
Au chapitre 46, Benoît applique la
même attitude à tous les manquements qui peuvent arriver dans les diverses
activités de la journée "au cours d'un travail quelconque, à la cuisine,
au cellier, dans le service de table, à la boulangerie, au jardin". Chaque fois que quelqu'un commet une erreur,
il doit spontanément s'en excuser. Pour
un romain bien éduqué, comme Benoît, cela est tout simplement une question
de "bonnes manières" tout autant que d'humilité. Et les "bonnes manières" sont une
expression élémentaire du respect que l'on porte pour les personnes avec qui
l'on vit. C'est lorsque quelqu'un
néglige de demander pardon que Benoît parle de correction (emendatio).
Et il termine cette section par une
recommandation plus générale : Si quelqu'un a commis un péché secret de l'âme,
il ne l'accusera pas en public mais s'en ouvrira secrètement, soit à l'abbé
soit à d'autres anciens spirituels, qui "savent soigner leurs propres
blessures et celles d'autrui sans les dévoiler ni les faire connaître".
Il vaudrait la peine de faire un commentaire
beaucoup plus élaboré de cette dernière recommandation. On y trouve beaucoup d'éléments essentiels:
a) d'une part, lorsqu'on a commis une faute secrète dans son coeur,
le besoin de ne pas simplement en demander pardon à Dieu, mais d'avoir un
témoin de cette démarche; b) d'autre part, le respect absolu de chaque personne,
tout aussi important que le respect de la communauté, qui exige une discrétion
absolue de la part de celui qui, recevant cette confidence, est constitué
témoin d'une démarche spirituelle importante et parfois difficile.