Site du Père Abbé
Armand Veilleux

Chapitre à la Communauté de Scourmont
3 décembre 2000


Le cellérier, père de la communauté (RB 31)

Si l'abbé selon la Règle de saint Benoît a la responsabilité d'incarner dans la communauté la paternité du Christ, il est aussi appelé à la partager avec un certain nombre de collaborateurs. Ce que dit la Règle des fonctions attribuées à ces divers collaborateurs, aussi bien que le vocabulaire choisi, indiquent bien que, dans la pensée de Benoît, il s'agit d'une participation à l'exercice de la paternité et non seulement de l'exécution de tâches secondaires ou de caractère purement matériel.

Selon notre mentalité moderne, pragmatique, nous sommes facilement portés à penser que la tâche du cellérier est purement matérielle. Or Benoît n'hésite pas à dire explicitement qu'il doit être comme un père pour toute la communauté (qui omni congregationi sit sicut pater).

Quelle tâche la Règle confie-t-elle au cellérier? Benoît ne définit pas son rôle en fonction des besoins matériels du monastère, mais en fonction des besoins des frères. Il lui donne la responsabilité de voir à ce que tous les besoins physiques des frères soient satisfaits, qu'il s'agisse de nourriture, de vêtements ou de soins de santé. Évidemment il faut pour cela que le monastère ait des édifices convenables et une économie sainement administrée. Un cellérier qui gérerait les entreprises de la communauté comme le gestionnaire d'une entreprise quelconque, ne tenant compte que des exigences de rentabilité ne serait évidemment pas dans l'esprit de la Règle. Pour Benoît, en effet, la personne humaine est indivisiblement corps, âme et esprit, et on ne peut s'occuper de l'âme sans s'occuper du corps et vice versa.

Benoît prévoit que le cellérier puisse avoir des aides, et même plusieurs, selon l'importance numérique de la communauté, mais il considère important qu'il y ait une personne qui, sous l'autorité de l'abbé, exerce une attention paternelle à l'égard de l'ensemble des besoins matériels des frères. De nos jours, dans les communautés peu nombreuses cela n'est pas toujours possible, et certains abbés sont réticents à confier à quelqu'un un tâche d'une telle ampleur (qui par ailleurs est requise non seulement par la Règle mais aussi par le Droit Canon). On perd quelque chose dans l'exercice de la paternité au sein de la communauté, en divisant la fonction entre plusieurs personnes, même si on peut gagner quelque chose - et ce n'est pas toujours certain - dans l'ordre de l'efficacité administrative.

Dans la vision de la Règle et du Droit Canon, le cellérier coordonne les activités de tous ceux qui ont des services de caractère matériel ou administratif à rendre en communauté. Il le fait en communion d'esprit avec l'abbé, qui doit veiller sur son administration. Si la tâche est répartie entre plusieurs personnes, et que c'est l'abbé qui coordonne lui-même les activités de celles-ci, il se transforme lui-même en cellérier et il n'y a plus personne qui veille sur son administration.

Lorsque nous avons parlé de la paternité spirituelle, nous avons vu que, dans le Nouveau Testament, elle s'exerce avant tout par le ministère de la parole et l'enseignement. Or Benoît qui veut que le cellérier soit comme un père pour la communauté exige précisément qu'il soit capable de donner une bonne parole, surtout lorsqu'il ne peut répondre à une requête qui lui est faite.

Les qualités que la Règle s'attend de trouver chez le cellérier sont assez semblables à celles qu'elle exige de l'abbé, surtout dans le chap. 64. Non seulement il agira avec patience et bonté envers tous, mais il manifestera une attention toute spéciale aux malades, aux enfants, aux hôtes et aux pauvres, qui sont, selon l'Évangile, les privilégiés du Christ. Il devra répondre avec bonté même à ceux qui font des demandes non raisonnables.

Sa tâche n'est pas facile et elle peut devenir lourde, surtout dans une grande communauté. Non seulement, on lui donnera des aides, dans la mesure du nécessaire, mais tous éviteront de le fatiguer par des demandes présentées en temps inopportun.

Ce que dit Benoît dans ce chapitre de l'attitude que doit avoir le cellérier peut s'appliquer mutatis mutandis à quiconque a un service à rendre en communauté.

Quant au soin des outils et autres propriétés du monastère, il en sera question dans le chapitre suivant.

La phrase finale du chapitre, ici comme en beaucoup d'autres cas, donne la note juste à l'ensemble: tout doit être fait, de part et d'autre, de telle sorte que "nul ne soit troublé ni affligé dans la maison de Dieu".

Armand VEILLEUX