Chapitre
du 2 janvier 2000,
Scourmont
Règle de s. Benoît, Chap. 3. La réunion des frères en conseil
1 Chaque fois qu'il y a des choses importantes à discuter dans le
monastère, l'abbé réunit toute la communauté. Il présente lui-même l'affaire.
2 Il écoute les avis des frères. Ensuite il réfléchit seul. Puis il fait ce
qu'il juge le plus utile.
3 Tous les frères sont appelés au conseil, comme nous l'avons dit. En
effet, souvent le Seigneur découvre à un frère plus jeune ce qui est le mieux.
4 Les frères donneront leur avis avec respect et humilité. Ils ne se
permettront pas de défendre leurs idées à tout prix.
5 Oui, c'est l'abbé qui décide. Il juge ce qui vaut mieux et tous lui
obéiront.
6 Les disciples obéissent au maître, voilà ce qui convient. Mais le maître,
lui, doit tout organiser avec prévoyance et justice.
7 En toutes choses donc, tous suivront la Règle. C'est elle qui commande,
et personne n'aura l'audace de s'en éloigner.
8 Dans le monastère, aucun frère ne suivra le désir de son coeur à lui.
9 Et personne ne se permettra de s'opposer à son abbé avec orgueil, ni dans
le monastère, ni en dehors.
10 Si un moine se le permet, on le punira selon la Règle.
11 Mais l'abbé, lui, fera tout en respectant Dieu avec confiance et il se
soumettra à la Règle. Oui, c'est sûr et il le sait, il devra rendre compte de
toutes ses décisions à Dieu, le juge parfaitement juste.
12 Quand il s'agit de choses moins importantes pour les besoins du
monastère, l'abbé demandera l'avis des anciens seulement.
13 La Bible le dit : « Demande l'avis des autres pour toutes choses.
Ensuite, quand c'est fait, tu n'as pas de regret » (Siracide 32, 24).
Ayant donné il y a un certain temps quelques
chapitres sur la paternité spirituelle, je vais passer pour le moment le
chapitre 2 de la Règle de saint Benoît
sur l'abbé (quitte à y revenir plus tard en commentant le chap. 64), et nous
réfléchirons ce matin sur le chapitre 3, qui traite de la convocation des
frères en conseil.
Au chapitre premier Benoît nous a
décrit d'une façon fort brève, mais très précise, comment il conçoit une
communauté cénobitique. Après cela il
entreprend de décrire les divers aspects de cette vie communautaire. Il est intéressant de remarquer que la Règle
de saint Benoît n'a pas de chapitre où seraient décrits le rôle et les
fonctions de l'abbé. Comme l'abbé est
au service de la vie de communion sous une règle commune, il intervient en
quelque sorte dans tous les éléments de la vie de la communauté, toujours comme
ministre de cette communion. Si Benoît
parle de l'abbé dès le chapitre 2 de la Règle, ce n'est pas, comme on pourrait
facilement le penser, pour le mettre sur un piédestal au-dessus des frères,
mais simplement pour lui rappeler quelle conduite il doit avoir. Le titre du chapitre est d'ailleurs: "Quelles
qualités doit avoir l'abbé". (Le
chapitre 64 décrira comment il est élu; les autres chapitres sans jamais
décrire directement son rôle, lui rappellent sans cesse ses devoirs dans tous
les aspects de la vie communautaire).
Après ce chapitre 2, où il est
rappelé à l'abbé la qualité de père qu'il doit incarner dans son service de la
communauté, la Règle passe tout de suite, dans le chapitre 2, à la convocation
des frères en conseil. Il y a dans ce
simple ordre des matières une vision théologique. L'abbé ne peut imposer à la communauté sa volonté propre, en
aucun domaine. Il doit au contraire
chercher constamment à percevoir ce qu'est la volonté de Dieu sur la
communauté. Or, Dieu qui a appelé
chacun des frères pour en faire une communauté, parle au coeur de chacun, tout
comme il leur parle aussi comme communauté.
C'est donc en tout premier lieu en écoutant ce que Dieu dit à chacun des
frères que l'abbé a le plus de chance de découvrir la volonté de Dieu sur la
communauté. C'est pourquoi le chapitre
sur le conseil des frères arrive en tête de la Règle, avant toute autre
chose.
Idéalement une communauté chrétienne
où chacun est totalement à l'écoute de la Parole de Dieu, n'aurait pas besoin
de supérieur. Tous verraient clairement
la volonté de Dieu en même temps et en pleine communion. Saint Basile, dans un premier temps, avaient
cru cet idéal possible; aussi n'avait-il pas prévu de rôle de supérieur dans
ses fraternités. Mais il s'est vite
rendu à l'évidence que, dans la vie concrète, cette pleine et constante
attention de tous à la volonté de Dieu n'est pas possible sans le ministère de
quelqu'un qui est, en quelque sorte, délégué à l'attention (l'expression
est de Claudel), qui joue un peu le rôle que jouait le prophète dans l'Ancien
Testament, rappelant sans cesse à la communauté l'amour de Dieu sur elle, ainsi
que ses engagements; et, éventuellement, la rendant consciente de ses
manques.
Benoît est le premier, dans la
tradition monastique à faire de la convocation des frères en conseil une sorte
d'institution fondamentale de la communauté, même si l'écoute des frères avait
toujours été pratiquée par les vrais maîtres spirituels des siècles précédents.
Benoît établit d'abord le principe
que tous les frères doivent être convoqués chaque fois qu'il y a quelque chose
d'important à faire en communauté, et que tous, même les plus jeunes, doivent
être convoqués et écoutés, et il donne la raison pour laquelle tous doivent
être convoqués. C'est que, dit-il, le
Seigneur révèle souvent au plus jeune ce qui est meilleur. Cette dernière phrase donne en fait le sens
profond de cette réunion des frères. Il
ne s'agit pas d'un simple exercice de démocratie. Il ne s'agit pas simplement de voir à ce que les désirs ou les
aspirations de tous soient satisfaits (ce qui, évidemment, a son
importance). Il s'agit encore moins de
permettre à la majorité de s'imposer à la minorité. Il s'agit tout simplement de rechercher ensemble la volonté de
Dieu. Faite dans tout autre esprit,
cette réunion du Conseil perd son sens.
Une fois établi ce principe, Benoît
décrit ce qui revient à chacun des acteurs de cette réunion.
a) Les acteurs
principaux sont tous les frères.
Ceux-ci doivent donner leur avis.
Refuser de le faire ne serait pas un acte d'humilité. Ils doivent le
faire avec soumission et humilité et ne pas permettent se de défendre âprement
leur manière de voir. Ces principes
spirituels valent pour toutes les cultures et tous les temps, et quelles que
soient les techniques utilisées dans les dialogues communautaires. Il ne s'agit pas de faire valoir une manière
de voir, mais de conjuguer toutes les manières de voir dans un regard
commun. Normalement un tel échange
conduit à un consensus.
b) À l'abbé,
Benoît demande d'abord de convoquer les frères, puis de leur dire de quoi il
s'agit. Une consultation n'a de sens
que si toute l'information permettant à chacun de se faire un jugement
personnel est donnée. La tentation de
n'importe quelle autorité qui consulte des frères, des coopérateurs ou des
subordonnés est toujours de garder comme "confidentielle" une partie
de l'information, ce qui place tout de suite celui qui consulte dans une
situation privilégiée...
Benoît donne ensuite à l'abbé un
rôle de discernement. "écouter le conseil des frères et réfléchir pour
lui-même". Si nous étions tous
toujours totalement attentifs à Dieu, sans aucune recherche égoïste, la volonté
de Dieu serait toujours évidente à la communauté. Mais il est rare qu'on arrive à une telle unanimité et à une
telle clarté. Il nous arrive tous
d'être aveuglés.
L'abbé doit donc finalement prendre
la décision qui lui semble correspondre à la volonté de Dieu sur la
communauté. Benoît lui rappelle qu'il
doit disposer toutes choses avec non seulement sagesse mais aussi équité. Dans
la situation idéale cette décision correspondra à un consensus communautaire
déjà atteint. Dans la pratique il
arrivera souvent que tous ne voient pas la situation de la même façon, même si
tous sont disposés à se rallier à la décision qui sera prise par l'abbé. Il serait exceptionnel que l'abbé se sente
obligé en conscience de prendre une décision qui irait contre l'avis de la
communauté, et les Règles canoniques actuelles sont telles qu'il ne pourrait
pas le faire validement dans toute une série de situation prévues par les
Constitutions ou le Droit canon.
c) L'autre
acteur prévu par Benoît est en effet la Règle. "Tous devront suivre en tout la Règle comme leur
maîtresse... L'abbé fera tout dans la crainte de Dieu et le respect de la
Règle". Concrètement, de nos
jours, la "Règle" c'est la Règle de Benoît telle qu'elle a été
interprétée et appliquée aux circonstances présentes par nos Constitutions et
les autres législations de l'Église et de l'Ordre. C'est la conversatio ou forme de vie chrétienne que nous
avons adoptée et choisie librement au moment de notre profession, et qui est
pour nous une interprétation vécue de l'Évangile.
d) Au dessus
de la Règle il y a en effet un autre acteur, qui est le Seigneur lui-même, à
l'écoute de qui les frères se mettent ensemble.
* * *
La façon de faire une consultation
des frères ou d'animer un dialogue communautaire peut varier selon les cultures
et les temps. Des techniques ont été
développées de nos jours par les "sciences humaines", et il est sage
de les utiliser ou de s'en inspirer.
Mais les principes spirituels offerts par le chapitre 3 de la Règle de
saint Benoît sont si essentiels et universels qu'ils s'appliquent à toutes les
situations et à tous les temps.
Armand
VEILLEUX